Posté par clarky le 18 mai 2010
Je me souviens encore de mon paternel, furibard, se levant de son fauteuil (rescapé de 13 années banlieusardes, de Bobigny la pointe à Aubervilliers, en passant par Gonesse et La Courneuve) et haranguant la foule, somme toute imaginaire, puisque seules ma mère et mes 3 soeurs étaient de la partie, reconnaissantes. Moi, minot à qui on interdisait la lucarne magique captant l'attention de toute la Sagrada Familia, me retrouvais à mater les 24 images seconde du haut d'un couloir sombre et le cul rétamé par la dureté des escaliers.
Fallait pas rigoler avec les colères du vieux, il avait des pattasses aussi grosses que le postérieur de ma grand mère obèse, et il ne les a posées sur moi qu'une seule fois mais je m'en souviens encore… Tel un lapin amorphe pris dans les feux, non pas de l'action, mais des phares, je restais immobile et lui envoyais du haut de mon mètre 15 ou 20, “pousse-toi je vois plus rien !!!” avant de tracer la route vers la chambre commune d'avec ma frangine et de m'enfermer à clef comme la mauviette que j'étais à cette époque. Ce fut la dernière fois que la télé m'apparut claire et nette, le lendemain, une porte toute opaque et sacrément bien posée, grâce à l'aimable dévouement de mon grand père, venait me signifier ma méprisable condition de bête humaine. Hasard, ou bazar, de la nécessité du besogneux intrépide que j'étais, je me rendis surtout compte que même ce paravent avait une faille. Une partie de la téloche étant dans l'axe du trou de la serrure, derrière cette porte, qui aurait pu être verte, j'étais quasi inrepérable tant j'assurais dans mes chaussettes, le silence et dors…
C'est comme ça que j'ai découvert, dans une intégralité voilée à moitié, la Belle et la Bête. En y repensant aujourd'hui, je crois que tout est parti de là, cet amour du cinéma, mes cauchemars qui se finissaient debout dans un placard en train de gueuler comme un perdu que Jean Marais voulait m'attraper, je lui aurais bien dit dans mes rêves que je n'étais pas Cocteau mais vu la petitesse dudit placard, je refaisais plutôt un remake du trou de Becker.
Fondu au noir, mes plombs ont depuis été changés. Les placards remplacés par des commodes, vu ma taille il m'est plus difficile de m'y aventurer. Quant à Cocteau et Marais, ils sont morts et éthérés mais ce chef-d'oeuvre qu'est la Belle et la Bête a définitivement fini de hanter mes nuits de minot traumatisé pour enfin être apprécié à sa juste valeur. Le cinoche est donc chez moi l'équivalent de ce que peuvent être les bouquins pour Rodo ou Rémi, des moments d'égarement et d'errements histoire d'oublier temporairement le merdier ambiant. Puéril me diriez vous, assurément, mais c'est le seul cacheton que je puisse ingurgiter pour soigner ma sinistrose. Comme pour un livre, je ne peux voir un film que seul dans un premier temps. Il faut impérativement que ce soit un plaisir solitaire, presque égoïste, point de partage ici lors de cette première mise en cène. L'eau à la bouche doit être une sorte de souffle au coeur, les premières minutes aussi fougueuses et ravageuses que la course de chars d'un ben-hur shooté aux stéroïdes. Premiers émois sur un air de Miles Davis, je suis dans cet ascenseur pour l'échafaud, le crime étant presque parfait,rien ne pousse à se faire la malle, et pourtant…Le cinoche est devenu un plaisir hors de prix, drolatique répulsif. La culture, une sorte de gourmandise inaccessible. La place, en plus de coûter un bras, ressemble à une salle d'attente pour psychopathes en tout genre, dont je suis. Entre celle qui a déjà vu le film et qui t'annonce dès le début quelle en sera la fin, et l'autre qui fure sa copine s'offrant dans d'innombrables petits gémissements goulus, je préfère encore me faire emmerder gratuitement.
A l'heure où les caillés du cinéma boivent du petit lait, s'auto-glorifiant tout en se pavanant sur tapis rouge, que les flashes crépitent à t'en faire péter les tympans, tandis que des abrutis poireautent en rang d'oignons afin d'entrapercevoir les nouvelles idoles des blockbusters de demain, je m'en retourne hilare vers une sorte de grande évasion, fuir le plus loin possible ce plus grand chapiteau du monde où le voleur de bicyclette est illico foutu en zonzon, laissant ainsi place nette, histoire de copuler entre gens venus faire leur business à la croisette des chemins. Désormais loin de ce capharnaüm aseptisé et monotone, je me reprends à déambuler sur les sentiers de la gloire, refusant de monter au front, je ne suis pas du genre borgne to be alive.
Ignorant ce boulevard du crépuscule des odieux affairistes, je repense à un mec comme Pierre Clémenti, resté fidèle à ses rêves, son utopie soixante-huitarde, quitte à ne pas avoir la carrière de notable que d'autres eurent vite fait d'épouser. Clémenti c'était une gueule, façon Delon ou Ronet, de la belle, de la divine même si on naît pas croyant. Un idéaliste sûrement, mais un acteur génial. Je ne suis pas de cette génération de 68, qui prétendait changer la vie et qui au final, pour nombre d'entre eux, n'ont fait que se la rendre meilleure en reniant leurs idéaux devenant, de facto, ceux qu'ils dénonçaient. Clémenti, un peu comme Kalfon, a vécu son truc à fond, quitte à se perdre parfois et se détruire au nom d'une foi qui s'appelait sincérité et fidélité aux valeurs qu'il prônait. Le cinoche regorge de personnalités se disant engagées, mais combien de Clémenti ? peu ou alors du bout des lèvres, refusant la folie destructrice d'engagements parfois radicaux, un plan de carrière a plus de valeur pour certains qu'une carrière laissée en plan…il avait refusé le Satyricon, rein que ça !
Ce guépard là valait tout autant que l'amant sadique, en red Deville's ou syndicaliste contestataire des Visconti, il s'est juste barré à 57 balais.
Finalement, peu importe la couleur du soleil, vert ou rouge,ou qu'on soit adepte de Marx et les ferrailleurs, les choses de la vie nous rattrapent inlassablement, plongeant dans les années Tod Browning où le Freaks est plus que jamais l'idole des jaunes, ceux qui ont succombé à la cupidité. Si je vous dis le nain qu'une donzelle cherche à épouser pour mieux le dépouiller, ne vous y trompez pas, toute ressemblance ici n'est plus fortuite… Dérangeantes visions, un peu comme celles de Zira dans la planète des singes qui me fait indéniablement penser à Danielle Mitterrand, qu'il me soit pardonné d'utiliser un tel Zaieus, pardon laïus.
Faites gaffe, les réplicants sont de plus en plus nombreux. J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. J'ai vu de grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l'ombre de la porte de Tannhauser. Tous ces moments se perdront dans l'oubli, comme les larmes… dans la pluie. Il est temps… de mourir……
Je dépense donc je suis, tu parles d'un cogito à la con, notamment une fois que t'as fini le visionnage de carré de chattes !!!