Je cherchais depuis des mois "Le mystère des cathédrales" de Fulcanelli quand je le trouvai enfin dans une échoppe de la galerie Vivienne. Je fus un peu déçu, une partie de l'ouvrage était sans intérêt, truffée de redites, enfin rien que je ne savais déjà. Une note d’une page au milieu du livre retint tout de même mon attention.
C'était une allusion à une philosophie, un courant de pensée, le "littérisme", qui m'était inconnu. Un ouvrage était cité en référence. L'aspect nouveau, original, inédit en tout cas pour moi, de ce mouvement, m'intrigua et je partis à la recherche du livre indiqué.
Plusieurs semaines d'investigation chez les bouquinistes furent nécessaires pour mettre la main dessus. Après l'avoir lu, c'est encore en appendice et presque par hasard, que je découvris des détails nouveaux sur le littérisme et ses adeptes.
Son origine remonterait pour certains au devin aveugle Tirésias, qui connut sept vies et fut successivement homme et femme. Les premières sources avérées sont pourtant d'Apollonios de Tyane, qui établit une école pythagoricienne à Ephèse où il fut adoré comme un dieu. Saint-Augustin y fait référence mais la trace se perd ensuite avant de réapparaître grâce à Ramon Lulle, à Majorque, puis se répand à travers toute l'Europe, notamment par René d’Anjou, de manière confidentielle, vraisemblablement kabbalistique. On croise, dans les méandres de ce mouvement le Secret des Templiers, l’ombre de Raymond VII de Toulouse et des Cathares et celle, non moins étrange de Christian Rosenkreutz.
Le mot "littérisme" d'ailleurs, n'a été exhumé que très tardivement, à la fin du XIXème, notamment par Jean de Habsbourg, recouvrant imparfaitement les contours d'un mouvement qui n'eut jamais vraiment de nom, et un nombre assez limité d'adeptes.
Cette fois encore, une note renvoyait à un autre volume. De fil en aiguille, je découvris ainsi et épluchai dans les mois qui suivirent une trentaine de vieux livres, manuscrits, palimpsestes, grimoires, in folio, grâce auxquels ma connaissance du littérisme s'approfondissait, mais jamais par le corps de l'ouvrage, toujours par des notes ou appendices divers.
C'est toujours au prix d'investigations laborieuses que je parvenais à acquérir ces livres, généralement peu connus, souvent oubliés. Seuls quelques écrivains célèbres jalonnèrent mon étude ; Ramon Lulle, mais aussi Cervantès, et plus près de nous, Balzac et Jorge Luis Borges, mais toujours dans des oeuvres mineures, peu ou pas connues du grand public.
Dans le même temps, mes recherches dans les encyclopédies et dictionnaires s'avérèrent vaines. Pas la moindre trace, nulle part, du littérisme. Ce mystère ne faisait qu'exacerber ma curiosité, redoubler mon énergie.
Un jour, au cours d'investigations qui occupaient désormais une grande partie de mon temps, je tombai par hasard sur un exemplaire de la même édition que la mienne du "Mystère des cathédrales". Je découvris avec stupeur que l'allusion au littérisme, en note, n'y figurait pas.
Je partis en quête, dans la mesure du possible, de tous les ouvrages qui avaient accompagné mon étude, et chaque fois que je dénichais un exemplaire nouveau, l'appendice ou la note ne s'y trouvait pas, quelle que soit l'édition. Nulle part, nulle trace du littérisme.
Le moment était venu pour moi d'un examen de conscience. Etais-je devenu fou ? J'avais caressé avant cette dernière découverte le projet de rassembler mes connaissances dans une étude qui, j'en étais sûr, attirerait l’attention. À quoi bon, à présent, comment s'appuyer sur des ouvrages qui n'existent pas !
Je repris mes notes et étudiai ma découverte sous un jour nouveau. Que professent les tenants du littérisme ? Que la littérature est plus importante que la vie, elle en épouse parfois les contours, mais va bien au-delà. La vie n'épuise pas et n'épuisera jamais les virtualités de la littérature, car celle-ci est l'infini de ses possibles.
Tel était, est et sera le littérisme. Restait à écrire une fiction.
Raymond Alcovère, nouvelle parue dans la revue Casse et à paraître (peut-être) dans un recueil de nouvelles