A ce film, on pourrait mettre en exergue les paroles du Col de la Croix-Morand (Jean-Louis Murat): "Quand montent des vallées / les animaux brisés / par le désir transhumant / je te prie de sauver / mon âme de berger". Car c'est bien cette âme qui au cours des quatre parties du film paraît voguer, être épié puis recueillie par la caméra, fuyant le corps d'un vieux beger pour ensuite passer au coeur de son troupeau, puis vers un arbre sacré (elle est là l'Arlésienne du Tree of life de Malick !). De là, le film tient son pari de passer du côté du règne animal puis carément d'adopter le "point de vue" de la matière concrète du monde. Dit comme ça, on craint le trip new age Mais c'est aussi la malice de cette célébration qui lui évite d'échapper au trip new age mâtiné d'éloge de la régression et des choses simples dont la civilisation moderne nous aurait éloigné. Frammartino, comme Suleiman, appartient à cette famille de rares cinéastes respectueux de l'éthique et de l'intégrité du plan-séquence comme des vues Lumière, mais qu'ils savent pimenter par quelques accents tatiens ou keatoniens.Parvenir à captiver avec le destin d'un pneu ou d'un tronc d'arbre n'est pourtant pas une nouveauté spécifique à cette édition cannoise. A la projection du film ready-made de Dupieux (un slasher tourné par Marcel Duchamp), me sont revenus mes (quasi) premiers souvenirs de cinéma liés à un film oublié (de moi comme de l'histoire du cinéma): Le Ballon rouge (Albert Lamorisse 1956) et à la simple magie de voir des objets bouger tout seul. Je pourrais méditer longtemps sur la connexion mentale entre ces deux films (entre le gamin d'hier et le trentenaire post-post-post-ado, où suis-je ?), mais quelque part, elle est éclairante sur la sincérité du geste de Dupieux, geste limité et suspect de snobisme branchouille (et pour ma part, je trouve ça plus drôle que Steak), mais geste tout de même net et intègre.
Demain, je parlerai peut-être du Socialisme à visage godardien, vu enfin ce matin à vitesse normale.
