Le Sénégal a plein de bons côtés. Par exemple, il y a de merveilleux oiseaux, comme les pélicans, les hérons goliath et les baobabs.
Il y a les brochettes haoussa, aussi, et le tieboudjen quand il est bon, la vie politique animée, les monuments de dimensions bibliques (enfin, coraniennes, mettons), la lutte sénégalaise à la télé, les crevettes pimentées, tout ça tout ça. Enfin, je veux dire, c'est plein de trucs qui font que ça vaut le coup d'y être.
Et puis, il y a les mauvais côtés, parce que bon, on n'apprécie bien un pays que quand on a réussi à apprivoiser un peu ce qu'il a d'emmerdant (comme les grèves qui donnent à la France son charme indicible, ou la pluie qui rend l'Angleterre supportable en forçant à la fréquentation des pubs et à l'ingurgitation massive d'antidépresseurs houblonnés, tout ça).
Au Sénégal, et en particulier à Dakar vu que pour le reste du pays je n'en sais foutre rien, les côtés emmerdants concernent l'eau, l'électricité et le téléphone. Faisons un petit tour, si vous le voulez bien.
Pour l'eau, on est emmerdés (au sens propre) quand il n'y a pas de pression et qu'on s'en rend compte qu'une fois qu'on doit tirer la chasse et se laver les mains avant d'aller à la rencontre de personnalités importantes, parce que ça ne donne pas forcément une bonne image de soi de laisser une cuvette tapissée des résidus de digestion des crevettes pimentées précitées (elles peuvent être violentes, des fois), ni de serrer des pognes des huiles internationales et parfois même moustachues de votre patronat quand vos doigts ont le même fumet que la rivière du côté de la baie de Hann (joliment et justement nommée le Rio Merdo).
L'électricité a au moins l'avantage de pouvoir se moquer de la France : quand on voit à la télé que le département le plus mal loti a 35 heures de coupures par an (et que c'est la Lozère, ouéé vive la Lozère), et qu'on en a autant dans la semaine, on glousse un peu.
Puis on peut toujours essayer d'y faire quelque chose, au Sénégal, alors qu'en France, même pas la peine d'y penser. C'est l'avantage du délestage : ce n'est pas un accident, quand on est coupé (bien que ça arrive, hein, surtout quand on a des travaux comme maintenant).
Donc, ici, on appelle la Sénélec, et on leur explique que non mais, c'est pas normal, on a été coupés trois heures ce matin, puis c'est revenu, puis reparti aussi sec. Et là, avec un peu de chance, on vous répondra « ha oui mais zut, on a fait une erreur, c'est pas vous qui deviez être coupé », et hop, vous entendez soudain votre réfrigérateur reprendre son ronronnement, et vos yaourts sont sauvés.
Il y a aussi la possibilité d'influencer les malheureux employés, des fois, voire de les manipuler honteusement.
Imaginez que vous êtes en pleine fiesta avec vos amis et vos chevaux, du côté de la baie de Hann (un côté qui sent plus le fumier de cheval que l'humain), et que soudain, paf, les enceintes cessent de vous abreuver les oreilles des rythmes douillets de Francky Vincent.
Que faites-vous ?
Vous saisissez votre portable, appelez la Sénélec et aboyez « mais enfin, qu'est-ce qu'il se passe ? L'évêque de Dakar est venu bénir la baie de Hann, et il n'y a plus de courant ? »
Là, votre interlocuteur devra balbutier quelque chose de pas trop intelligible avec des Son Éminence qui dépassent par-ci par-là entre les « personne ne m'a dit », puis hop, Fiat lux pour l'évêque, et fiat Francky Vincent par la même occasion. Testé et approuvé (paraît-il, mais je n'ai aucune raison de mettre cela en doute).
Bon, c'est rigolo, mais reste que y'a quand même plein de coupures de courant et que c'est super chiant quand vous êtes en plein visionnage de Chuck ou de the Wire sur le vidéoprojecteur qui ne tient pas quand vous êtes sur le générateur.
Mais le pire, je crois que c'est ce qui nous est arrivé ce week-end : coupure de téléphone, et donc d'internet. Vous appelez la Sonatel, on vous répond que c'est un accident, et que le problème sera bientôt réglé. Vous rappelez le lendemain, on travaille sur le problème, ce sera bientôt réglé. Un peu plus tard, vous décrochez votre téléphone, et joie ! Tonalité !
Vous faites votre numéro de portable, pour tester. Et il sonne ! Youpi ! Vous branchez votre routeur, tout pressé que vous êtes de pouvoir aller voir des blogs fascinants, attendez quelques minutes, les poings serrés et les yeux fixés sur la petite icône en bas à droite de l'écran, celle avec les deux petits ordinateurs et la vilaine petite croix rouge. Qui ne disparaît pas. Toujours pas. Et continue de ne pas disparaître.
Vous réessayez de vous appeler du fixe. Et ça marche. Mais vous vous rendez compte que le numéro qui vous appelle n'est pas du tout celui de votre téléphone fixe.
On vous a changé votre numéro de téléphone.
Vous appelez la Sonatel, et effectivement, ce n'est pas votre numéro. C'est celui de la famille Touré. Et la vôtre, elle est devenue quoi ?
On y travaille. Le problème sera bientôt réglé.
En attendant, puisqu'il n'y a toujours pas le net à la maison, je dois prendre sur mes heures de travail pour poster ça. J'espère que mon vilain patron ne le lira pas.
<>