"La liberté détruite" Tony Anatrella

Par Manus

Mgr Tony Anatrella

Une fois n'est pas coutume, me voici en train de vous présenter un livre de Tony Anatrella, prêtre fortement controversé - son franc-parler dérange non seulement les gays, mais il a été lui-même suspecté d'abus sexuels - alors que pourtant, ses écrits, même radicaux, ne sont pas toujours dénués de bon sens dans certains chapitres, voire même, laissent songeur.  Tony Anatrella est "né en 1941, est un prêtre, également psychanalyste et spécialiste de psychiatrie sociale. Professeur aux Facultés jésuites de Paris, il enseigne la psychologie clinique. Il est membre du conseil scientifique de la Revue d'éthique et de théologie morale « Le Supplément », consulteur au Conseil pontifical pour la Famille, et chargé de mission sur les drogues et la toxicomanie auprès du Conseil pontifical de la Santé à Rome.

Ses travaux de recherche portent sur la psychologie juvénile et certains problèmes de société, notamment la famille, la sexualité et les drogues.

Tony Anatrella a été mis en cause par un jeune homme qui estime avoir été victime, entre 2001 et 2003, de rela tions ambiguës, à connotations sexuelles, alors qu'il suivait une thérapie avec lui. Cette plainte a été classée sans suite par la justice. " (Wapedia)

"La liberté détruite", éd. Flammarion, 2001, est un ouvrage essentiellement consacré à la dépendance : alcool, drogue, sexe, et aujourd'hui, le Net.  Livre plutôt intéressant qui permet à tout addict de comprendre les fonctionnement qui régissent l'être et qui l'ont poussé à la dépendance,  mais si on lit entre les lignes, il serait possible d'aller encore plus loin, et de tenter de relier ce qu'il a écrit, avec la quête de liberté de l'être.

Dans le chapitre "Le plaisir pour soi" (p37), où nous sommes toujours dans le contexte du drogué, Anatrella attire mon attention avec ceci : "Pourquoi cette quête éperdue du plaisir ? Sans doute dans le secret espoir qu'il se libère d'un ennui existentiel, voire des soucis de la vie, ou qu'il fasse vibrer quelques sensations intérieures."

Il y a forcément dans cette question (retiré de son contexte)  d'innombrables réflexions qui en découlent : la question du fonctionnement de notre société actuelle, que ce soit au travers du système capitaliste, et des conséquences que cela engendre, et surtout, sur la finalité de l'homme en tant que tel, au quotidien.  On ne peut passer à côté du fait que l'homme d'aujourd'hui est en perte de repères, de sens de la vie, et poursuit une course effrénée, soit contre la montre, soit en cherchant à se remplir au maximum de sensations, de plaisir, matériels ou non, ou de toutes sortes qui relèveraient finalement de l'addiction, d'une mise sous couvercle d'une angoisse.  La question serait donc : l'être a-t-il besoin, fondamentalement, d'un sens à sa vie, auquel cas, il serait soumis à un comportement de dépendance ?

Une esquisse de réponse (p39), clairement incomplète, mais qui conduira à nouer d'autres liens, reste intéressante : "La quête du plaisir repose sur une confusion : le plaisir n'est pas le bonheur. (...) Le bonheur, c'est aussi le fait d'être bien avec soi et en harmonie avec le cosmos, en fonction d'un rapport immuable entre l'homme et le monde.  Pour certains, le bonheur tient uniquement dans la réussite : des affaires florissantes, des richesses accrues permettraient d'assurer à chacun une existence "heureuse".  Pour d'autres, le bonheur devrait trouver dans la force des sentiments et des sensations, ou plus simplement dans le fait de se sentir exister, dans le contentement de soi."

Dans les chapitres suivants, l'auteur traite du désir et du fonctionnement de l'enfant jusqu'à l'âge adulte par rapport à cet état. Il en vient plus loin (p43) à évoquer cette phrase : "(...)S'il recherche le plaisir en permanence pour combler des manques, il va d'insatisfaction en mécontentement.(...)" (Je rappelle que cet ouvrage a pour sujet les drogués)  Ou encore "(...) Vouloir à tout prix combler ses désirs est une illusion qui provoque la négation du désir lui-même et de sa propre existence.  La vie se résume alors à un état de manque et, paradoxalement, c'est cet état qui devient inacceptable.(...)"  

Quelques lignes plus loin : "(...) Le plaisir, conçu de cette façon, n'est ni un bien, ni une satisfaction : il est l'expérience du néant.(...)"

Enfin, il dit ceci : "Or, c'est justement la reconnaissance du manque, de l'inachèvement en chacun de nous, qui nous permet de nous prendre en charge et d'accepter de vivre en nous libérant de l'aspect illusoire des désirs humains.  En nous assumant dans cette liberté, nous pouvons mieux comprendre, choisir, aller de renoncement en renoncement, approfondir et occuper notre vie intérieure.  Nous sommes ainsi ouverts à un au-delà du désir qui dépasse les apparences et nous achemine vers les relations réelles."

Forcément, suite à ce type de texte, il y aura plusieurs réactions possibles : celle des croyants qui y verront une nécessite de davantage se consacrer à la relation avec Dieu, mais aussi, celle des non-croyants, des athées, qui se poseront la question de savoir comment créer cette vie intérieure, et surtout, ce que cela signifie exactement.  Enfin, il y aura ceux qui doutent, qui ignorent tout simplement quelle est la finalité ultime de l'homme, et qui pourront, à juste titre, se poser les mêmes questions, pourquoi pas, que l'athée.

A la page 48, Anatrella tire le portrait psychologique du toxicomane, ce qui à vrai dire fait assez froid dans le dos.  Quelques exemples : "(...) une relation fusionnelle qui est le propre des personnalités incestueuses (...)" "Le plaisir qu'il est incapable d'obtenir grâce à des relations réelles, il le cherche dans l'imaginaire; il finit ainsi par se prendre au jeu d'un monde artificiel et factice.(...)"  "Le narcissisme individuel est ainsi entretenu à travers la valorisation constante de la subjectivité et du ressenti.  Le principe de plaisir devient la référence principale, dissociée du principe de réalité.  Le sujet narcissique et libéré peut devenir un sectaire et un prédateur acceptant la destruction des autres et des pans symboliques de la société pour son plaisir.(...)"

Ces passages sont assez difficiles à accepter, mais en même temps, ils permettent de rebondir et de comprendre certains mécanismes qui ont trait, à tout homme.  Disons qu'il ne faut pas être drogué pour que chacun se sente d'une façon ou d'une autre concerné par certaines expressions, ce qui permet d'engendrer des questions - ne fusse que lorsqu'il évoque l'état fusionnel de l'amour - sur ce qu'est exactement la définition de l'amour, même si celle-ci est un prisme dont il sera probablement difficile de faire le tour complet.

Vers la page 115, Anatrella aborde le chapitre de la personne en crise, et de la société actuelle.  Assez pessimiste sur le monde d'aujourd'hui, ces réflexions ont pourtant le mérite de laisser le lecteur songeur : "Dans le climat hédoniste de la société actuelle, tout est fait pour réaliser que la plupart des désirs, éprouver des sensations agréables et fuir les interrogations inhérentes à l'existence. (...) Nous sommes également dans un contexte qui laisse à penser que nous pourrons vivre dans un monde sans limites. (...) ils sont le signe du chaos intérieur, d'une profonde errance et de l'absence de repères sociaux et moraux pour identifier et réguler les conduites personnelles.  Ces tendances témoignent d'un dangereux sentiment de toute-puissance, qui passe par le besoin de frôler les frontières de la vie. Tout connaître tout essayer, et tout vivre pour être sûr de ne rien manquer des "charmes" de l'existence. (...)

Un dernier texte de Anatrella avant de conclure : "Cette recherche d'une "autre" vie qui serait meilleure que celle vécue réellement montre à l'évidence que le problème qui se pose à travers la quête éperdue du bonheur est celui de la signification de l'existence".

Voilà.  Une présentation en vrac de cet ouvrage de Tony Anatrella.  J'ai bien aimé certains passages, il y en avait beaucoup d'autres, mais je ne pouvais pas tous les retranscrire ici, car malgré le fait qu'il évoque principalement le "drogué", j'ai trouvé que son analyse touchait au fond tous les sujets de l'existence.  

La question lancinante qui revient en conclusion, presque comme une obsession, est de se demander, justement, comment l'homme peut trouver cette liberté, pour ne pas être un "drogué" quelqu'en soit la forme.  

Liberté de l'être qui probablement ne peut exister que par étapes, en partant de de sa création, vers sa croissance, ou peu à peu, il pourra se défaire de liens, de situations, pour tendre vers cette liberté qui ne formera qu'un tout avec l'univers.

Panthère.