EasyJet enjeu d’une bataille des anciens et des modernes
L’affrontement n’est pas nouveau mais prend soudainement de l’ampleur : Stelios Haji-Ioannou, fondateur d’EasyJet, désapprouve la stratégie de la compagnie qu’il a fondée, au point d’en quitter le conseil d’administration. Le psychodrame shakespearien est difficile ŕ comprendre et nous réserve probablement quelques surprises.
Andy Harrison, directeur général, va abandonner ses fonctions dans quelques jours. Il est déjŕ remplacé par une forte personnalité issue des médias, Carolyn J. McCall, qui dirigeait le trčs puissant Guardian Media Group. Que dit sa lettre de mission ? Mystčre ! Mais on ne comprend pas pourquoi ŤSteliosť (notre illustration) choisit le moment de la transition pour se fâcher tout rouge. Sauf, bien sűr, si la belle Carolyn entend poursuivre sur la lancée d’Andy. Le pčre fondateur, précisons-le, n’occupe plus la moindre fonction chez EasyJet et se contente d’encaisser ses dividendes.
Que se passe-t-il ? La réponse est presque simple : EasyJet cherche avant tout la croissance et, depuis quelques années, n’y arrive qu’aux dépens de la rentabilité. Stelios, lui, exige du retour sur investissement sonnant et trébuchant, immédiat, et ne voit pas l’intéręt d’aller trčs au-delŕ du gabarit actuel, celui d’une compagnie bien établie dotée d’un peu moins de 200 avions. C’est exactement le contraire de l’objectif poursuivi par Michael O’Leary, le directeur général de Ryanair, bien décidé ŕ afficher des statistiques de trafic montant jusqu’au ciel. D’oů sa croissance effrénée, jusqu’ŕ présent bien maîtrisée et rentable.
Des questions métaphysiques se trouvent ainsi posées. Est-il préférable d’encaisser les dividendes d’une bonne idée pour mieux s’enrichir vite et bien ? Ou, tout au contraire, bâtir un édifice qui fera bientôt des compagnies conventionnelles, ŕ commencer par British Airways/Iberia, des Lilliputiens ringards, victimes de leur conservatisme ? Ou, ce qui serait autrement plus grave, le modčle low-cost approcherait-il de ses limites ?
L’énergie avec laquelle EasyJet cherche ŕ développer ses recettes annexes est remarquable, si ce n’est troublante. Elles interviennent déjŕ pour 20% du chiffre d’affaires, une envolée liée en partie ŕ l’instauration d’une politique de bagages payants. Par ailleurs, la capacité des avions va ętre accrue, les cabines devant ętre davantage densifiées. Bientôt, les passagers d’une taille de plus de 1,65 mčtre pourraient la trouver saumâtre…
EasyJet, dčs sa création il y a une quinzaine d’années, a résolument choisi la difficulté. Elle a en effet opté pour un modčle économique inspiré de celui de Southwest Airlines, mais en desservant les grands aéroports, et non pas de lointaines et mornes plaines comme Beauvais et Charleroi. Le résultat, jusqu’ŕ présent, a été probant, bien que la compagnie orange soit un peu moins low-cost que Ryanair. La recette moyenne par coupon de vol est actuellement de 46 livres environ (54 euros), ce qui correspond ŕ des grilles tarifaires trčs attractives en męme temps que marquées par de grands écarts.
Au plan financier, Andy Harrison laisse ŕ Carolyn McCall un héritage trčs convenable, compte tenu de circonstances pour le moins défavorables, ŕ savoir un exercice 2010 qui fera apparaître un bénéfice de 100 ŕ 150 millions de livres. De quoi faire des envieux : la neige a fortement perturbé les opérations (380.000 passagers en ont subi les inconvénients et, plus récemment, le volcan islandais et affecté plus ou moins gravement 850.000 passagers. Dans ces conditions, dégager malgré tout des bénéfices constitue un exploit. Un avis que ne partage visiblement pas Stelios.
Avant męme cette double crise, exacerbée par la nouvelle hausse du prix du pétrole, des mesures sévčres ont été prises par EasyJet pour contenir davantage ses coűts. Vingt-quatre lignes ont été fermées pour cause de mauvais comptes mais l’ouverture de 73 autres a été programmée. La preuve d’une volonté renouvelée de croissance. Il reviendra ŕ Carolyn McCall de clarifier la situation, c’est-ŕ-dire ŕ résoudre la quadrature du cercle. Elle découvrira alors que, contre toute attente, il est autrement plus difficile de diriger une compagnie aérienne qu’un groupe de presse.
Pierre Sparaco-AeroMorning