Et comment! On peut même affirmer que Godard fait partie des pionniers du Pop tant sa méthode en épouse subtilement les formes. Personne n’a si audacieusement associé les références littéraires, cinématographiques ou philosophiques.
Les œuvres pop proviennent souvent du détournement d’une technique particulière et dans le cas précis du film (et de la nouvelle vague en général) de la technique de production cinématographique. Jusqu’alors les tournages s’effectuaient en studios, loin des foules et de l’improvisation.
Le réel se donnait par allusion jusqu’à ce que le Neo-réalisme, par contrainte financière et matérielle d’abord, installe sa caméra dans la rue et en rende compte d’une façon tout à fait innovante. Rome, ville ouverte de Rossellini (1945), film fondateur du mouvement, aura une grande influence sur la génération de Godard qui s’emparera de ce mode de production plaçant l’environnement urbain comme son studio. La réalisation devient mobile, se déplace, accepte l’improvisation, bref arrache son matériel de la lourdeur des studios (la caméra 16mm Eclair 16 aide grandement par son format). Cependant ce piratage des règles cinématographiques de l’époque ne constitue pas l’acte pop. Le néo-réalisme italien ne peut être considéré comme un mouvement pop. Cependant, il en donne un cadre.
Car Godard s’écarte du Néo-réalisme par la réalisation de son film. Là où les décors et les figurants renvoient à une évocation neutre de la vie quotidienne, les textes et la mise en scène élaborent un film aux allures surréalistes en contradiction avec l’esthétique réaliste du documentaire.
L’existentialisme tint le haut du pavé théorique durant les 50’s avec Sartre et De Beauvoir comme chefs de files et derrière la simplicité de l’histoire se cachent les questions et les enjeux de ce courant majeur d’après guerre. La liberté, le temps, la mort, l’angoisse ou le néant ne s’expriment pas que par les mots, mais aussi sur une affiche, une coupe de cheveux, un T-shirt ou un panneau. La confection, joignant toutes sortes de références cinéphiles , ne propose pas moins que le premier film existentialiste, pour ne pas dire philosophique, de l’histoire en apposant l’ensemble de ses concepts sur les aspects les plus concrets de l’existence.
En joignant le cinéma et la philosophie, Godart réussit à rendre enfin sa noblesse à un art auparavant considéré comme populaire et mineur. En actualisant et esthétisant les aspirations de sa génération par une technique neuve, ce film annonçait les changements à venirs et inscrivit dans notre mémoire l’éternelle image de Belmondo et Seberg foulant d’un pas serein les Champs Elysées. Car leur marche dévoilait une ère nouvelle et un entêtant questionnement : ça veut dire quoi dégueulasse ?