Une chronique de Broots
Je me lance rarement dans la lecture (d'un livre sans images, je veux dire ).
Mais depuis quelques temps, c'est une échappatoire au stress, à la pression. Alors je me suis remis dedans.
Par contre, je déteste acheter "le dernier X" ou "le lauréat du prix Y", j'ai besoin d'un truc original, si possible pas trop connu ou en tout cas plus confidentiel. J'ai donc tapé
"auteur sous-estimé" sur le net et de fil en aiguille (ou de page en lien devrais-je dire) je suis tombé sur Jim Thompson.
Inconnu au bataillon (désolé, ma "culture" littéraire s'est arrêté au BAC français en première S), alors j'ai épluché sa wikipédiagraphie et j'ai été attiré par l'homme et l'œuvre.
J'ai donc tenté ma chance avec 1275 âmes (où sont passés les 5 manquantes de la traduction française ?), étant grand amateur d'humour noir.
Et bien m'en a pris, ce livre est caustique, noir, très noir même, et décapant !
Résumé : Shérif de Pottsville, village de 1 275 âmes, Nick Corey a tout pour être heureux : un logement de fonction, une maîtresse et surtout un travail qui ne l'accable pas trop car il évite de se mêler des affaires des autres. Bien sûr, cette routine ne va pas sans quelques ennuis : son mandat arrive à terme et son concurrent a de fortes chances d'emporter les prochaines élections. Et puis, même les petits maquereaux du coin en viennent à lui manquer de respect. Aussi Corey trouve-t-il qu'il est grand temps de faire le ménage, à commencer par tous ceux-là.
On découvre au fil des pages un polar pessimiste, donnant une image à la fois surréaliste et pourtant tellement vraie de cette vie dans un patelin paumé des Etats-Unis. Entre racisme exacerbé et manipulations politiciennes, le héros oscille en permanence entre connerie profonde et intelligence supérieure.
Et c'est ce qui m'a plu, cette incapacité à catégoriser ce personnage de shérif, partagé entre sa fainéantise et son jem'enfoutisme (il bouffe, dort, baise, rebouffe, fait la
sieste mais surtout n'agit pas !) et son esprit manipulatoire (involontaire ou pas, that's the question !?).
Je n'en dis pas trop (loin d'avoir le talent d'autres ici pour exprimer ce que j'ai ressenti à la lecture), ce roman se doit d'être découvert page après page pour en garder toute sa saveur, une
saveur bien aigre et pourtant délicieuse de ces années 20, période post-farwest mais encore loin d'être même un minimum civilisée.
Entre regard tendre sur le personnage et fous rires, j'ai retrouvé tout ce qui rend un livre impossible à poser avant de l'avoir terminé.
Je termine par un extrait très représentatif du ton parfois pince-sans-rire, de l'esprit général du livre et ne peux que vous inciter fortement à le lire à votre tour !
Comme il est près de neuf heures du soir, il n'y a plus grand monde dans la rue, mais ceux qui ne sont pas encore couchés me demandent tous si je vais à la pêche. Je leur réponds
:
-" Quelle drôle d'idée ! qu'est ce qui a bien pu vous faire croire cela ?
- Eh bé, c'est de vous voir avec une canne à pêche, pardi ! me fait l'un d'eux. Si vous allez pas à la pêche, à quoi ça vous servirait ?
- Ca ? Ah ! c'est pour me gratter les fesses avec. Des fois que je serais là-haut dans un arbre et que d'en bas j'aurais pas le bras assez long.
- Mais ... mais dites un peu... (il hésite, les sourcils froncés.) ça n'a point de bon sens, votre affaire!
- C'est vous qui le dites ! Quasiment tout le monde fait pareil. Vous allez pas me raconter que vous n'avez jamais pris une canne à pêche pour vous gratter le cul, dans le cas où vous seriez en haut d'un arbre et que vous puissiez pas y arriver sans ! Ben dites donc vous me faites l'effet d'être drôlement empoté, vous !
C'est vrai, il avoue, lui aussi il fait pareil. C'est même lui qu'a inventé le truc.