Mieux vaut une solitude à deux qu'une solitude à soi

Par Sergeuleski

Le temps nous manque quand il s’agit d’être patient et de pardonner à ceux qui nous aiment mal, là où toute concession faite à l'autre - une de plus d'une longue série - ne peut l'être qu'au détriment de notre assise physique et de notre santé mentale. 

La pusillanimité suit le même chemin que l'amour quand ce dernier se retire. L'indulgence ne reste pas une minute de plus. Seul reste le désir ardent que tout finisse.

Une poignée de cendres, pénurie d'amour jusqu'à la famine ; une vie à deux de somnambules, un dernier souffle de haine et de souffrance jusqu'au moment de la rupture qui  arrive enfin...

On s'est décidé : on part. Dans notre désir de rupture, dans ce que nous ne voulons plus, il y a bien plus que ce refus : il y a ce à quoi notre volonté aspire, au plus profond, tout ce à quoi nous souhaiterions dire oui.

Avec la fin de l'amour vient la solitude à deux. Avec la fin du couple, le combat, la lutte à mort et une fois ce combat mené à son terme, encore la solitude pour peu qu'on ait fui sans solution de rechange. La déception et l’épuisement qui ont forcé notre départ, leur poison nous accompagnera dans nos moindres déplacements et dictera tous nos choix, subrepticement car, on n’abandonne rien finalement. On choisit simplement un autre cadre de vie, un autre décor pour souffrir seul et panser nos plaies, hommes et femmes confondus : affres qui n’épargnent ni le passé, ni le présent, la totalité du temps. Et même l’avenir : cet imprévu qui nous renvoie… à ce que nous sommes et avons quitté : hier, aujourd’hui sans plus d’attente, sans espérance, sans nostalgie certes ! Mais sans plus de promesse.

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Quand le couple n’est plus qu’une accoutumance, un savoir-faire et un savoir-être pétrifiés et figés de l'un sur l'autre et de l'un envers l'autre, quand tout y est visible et lisible dans ce couple, on peut être tenté de penser que tout a été dit et que tout a été atteint - du moins, tout ce qui pouvait l’être. C'est alors que le couple est rendu à sa substance première, fortement teintée d'arithmétique et de fiscalité : un et un font deux... qui font deux parts.

Union pleine à moitié ou bien, union à moitié vide, c’est selon. Après un nombre d'années non négligeable, rien n'y est tangible, rien n'y est vrai dans une union à deux. Et seule l’humeur du moment déterminera le regard que l’on portera sur cette plénitude incomplète, fruit d'une union d'intérêts bien compris et sur laquelle aucun effort, aucun investissement supplémentaire n'aura d'effet. Car, pour le reste... quand rien de ce qu'on nous donne ne convient - si d'aventure, on nous le donne - le reste sera tu, caché, indéchiffrable, à jamais enseveli, inaccessible puisqu’il n’existe aucun espoir d’être compris et accepté tel que l'on souhaite être et pour ce que l'on est. En effet, la moindre tentative de dévoilement de soi dont l'enfance avait pu un temps nous laisser espérer la possibilité et le bienfait, provoquera immanquablement la rupture de l'un avec l'autre car la moindre quête d’authenticité mettra en péril un équilibre toujours précaire, un acquis sans cesse menacé : celui d'une vie de couple établie de longue date et dans laquelle on aura longtemps cessé de penser par soi-même, en toute indépendance, sacrifice consommé.

On n’ira donc pas plus loin, et l'on ne creusera pas plus profondément. Le tour a été fait ; la circonférence aussi. Dissocié de l'autre, le noyau, ce cœur impénétrable, demeurera à jamais inaccessible puisqu'il ne concerne personne d’autre que soi et qu’il en a toujours été ainsi aussi loin qu'on se souvienne et les autres avec nous. Certes, la périphérie est encore atteignable mais elle n'engendre plus, à la longue, que des frustrations sans nombre, dos au mur, face à l’empêchement qui se dresse devant l’un et devant l’autre.

Le couple atteint son point culminant au bout de cette impasse à la fois subie et pour certains d'entre nous, vivement souhaitée, gage de sa longévité ; il arrive à maturité et à sa finitude dans ce renoncement partagé, dans cette infirmité, dans cette incapacité, cette inaptitude d'un caractère nouveau : inaptitude d'une compétence au-delà de tout reproche, d'une efficacité redoutable quand la durée devient la seule mesure de son succès.

Si personne ne nous enlèvera de nous-mêmes, reconnaissons, néanmoins, qu'avec le couple, le don de soi fait à l'autre devient une diversion opportune et salvatrice dans une vie trop grande pour soi et dont on offre le surplus : c'est toujours ça en moins à porter et à supporter, seul. Nous sommes deux maintenant à pouvoir échapper à l’enfermement de soi dans soi ; enfermement qui nous condamne le plus souvent à un amenuisement aussi certain que dommageable.

Aussi, pour cette raison qui en vaut bien d'autres, d'aucuns ajouteront : mieux vaut une solitude à deux, qu'une solitude à soi, si la solitude doit être notre lot.

  

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 Extrait du titre  : "La consolation" - disponible chez EDILIVRE

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