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Dans les égouts

Publié le 16 mai 2010 par Didier54 @Partages
Dans les égoutsRien vu venir. Rien.
Un matin, Michel avait trouvé le mot qu'elle avait laissé sur la table de la cuisine, et pas sur le meuble dans l'entrée, bien en évidence.
Laurence était partie, et il ne pouvait même pas dire sans un mot. La violence du moment le terrassait. Il n'avait rien vu venir. Rien. Il aurait dû sentir, c'est certain. Mais ça n'était pas venu.
Il maudissait internet. Saloperie de réseau. Parce que c'est là qu'elle avait "rencontré" celui qu'elle disait être l'homme de sa vie. Celui qui saurait réveiller en elle son animalité, elle avait écrit sur le mot. Son animalité.
Il savait bien que le réseau mondial, si ça n'avait pas été lui, ça aurait été autrement.
Michel souffrait que la femme de sa vie soit partie avec l'homme de sa vie à elle et que cet homme n'était pas lui.  
Ca y est, se disait-il, se consumant de l'intérieur. Je l'ai, mon cancer. Va me bouffer de l'intérieur.
Les jours passaient et passaient mal. Les enfants étaient loin, désormais.
Trente ans de vie commune pour un destin commun.
Il reniflait. Se disait qu'à près de soixante balais, on ne pleure pas, on ne pleure plus. Il ne savait plus comment on fait.
Il évitait le recours à la bouteille. Tentant mais son estomac, heureusement, ne supportait pas.
Il restait longtemps assis à table, fixant le mur, regardant à travers, ne voyant rien. Ou alors il tournait en rond, abrutissait la bête féroce qui sommeillait, à coups d'écrans, de télévision vide, de travaux inutiles. Il avait abattu quelques arbres dans la propriété et remué plus de terre qu'il n'en fallait dans le jardin. Il avait fendu du bois. Des han ! plus rageurs qu'énergiques l'avaient aidé à filer sous la douche, puis à dormir tant bien que mal. Des semaines qu'il n'avait pas parlé à quelqu'un.
Un seul être vous manque...
Il avait quand même de temps à autres ses enfants au téléphone. Mais leurs silences étaient épais de tout ce qu'ils n'osaient se dire. Il se demandait s'ils en savaient davantage. Il ne le leur demanderait sûrement pas. Pas plus qu'il ne leur avouerait qu'il était allé sur Meetic, des fois que. Et qu'alentour, il s'était mis à reluquer les veuves et les vieilles filles.
Sûrement que oui, ils savaient. Mais ils ne disaient rien. Elle avait toujours su être proche d'eux. Lui moins. Ils essayaient juste de lui remonter le moral. Aucun ne prévoyait de venir le voir.
Au fond du puits, il n'y a que gadoue et les égouts se trouvent toujours au bout*, marmonnait il s'adressant à une cuillère ou à un tesson.
Michel le pensait : Même pas la courage de me flinguer.
Il songeait à la vie, à cette vie, cette maison, regardait ses mains cornées et son ventre se tordait lorsqu'il imaginait sa femme avec un autre. Il ne supportait pas, il la voyait sourire, être heureuse peut-être. Il la connaissait si bien qu'il en était arrivé à un point où il se demandait comment cela se faisait qu'il la connaissait si mal.
Il avait bâti sa vie comme on construit un plan épargne. Patiemment, déposant pour l'avenir.
Jamais il n'aurait cru qu'arrivé, cet avenir aurait une si sale gueule.
Michel ne comprenait pas. Il se tapait d'une certaine manière la tête contre les murs. Mais que s'était-il donc passé, avait-il tendance à se dire, se reprenant : mais que ce n'est-il donc pas passé ? Que n'ai-je pas fait qui l'a rendue si malheureuse ? Que n'ai-je pas vu qui lui a donné envie d'être attirée, séduite, partie ?
Il faisait souvent le tour de la propriété en s'interrogeant sur le sens de la sueur. Il se revoyait, éclats de rires compris, lumbagos divers intégrés, retaper cette ruine, lui donner âme, corps, avec elle, pour elle, avec eux, pour eux. Et tous, un par un, étaient partis, volant de leurs propres ailes.
Je n'ai pourtant pas construit une prison, se disait-il. Mais il était là, bel et bien prisonnier. De lui autant que d'elle.
* Fin de phrase empruntée / inspirée par HF Thiéfaine (Droïde song).

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