C’est de la photographie de studio à l’état pur : quand en 1950/51, Irving Penn décide à Paris, puis à Londres et à New York, de photographier les petits métiers pittoresques, typiques ou en voie de disparition, il n’arpente pas les rues avec son appareil à la main, il ne va pas saisir le réel sur le vif. Non, portraitiste dans l’âme, il utilise des rabatteurs (à Paris, rien moins que l’impécunieux Doisneau et Edmonde Charles-Roux, directrice de Vogue, avec Robert Giraud, “l’homme de Penn“) qui traquent, trouvent, identifient et convainquent les sujets potentiels de venir au studio du maître, avec leurs outils de travail, pour y être portraiturés, prélevés du réel et transplantés dans l’image, comme ces deux garçons bouchers parisiens, couteau à la main, la blouse tachée de sang. Là où Sander, aux visées encyclopédiques, photographiait ses types dans leur jus, Penn les extrait du monde, les prélève et reconstruit leur pittoresque vivant dans la froideur mortuaire de son studio, même éclairage impersonnel, même mur neutre. C’est peu de dire qu’ils posent, de manière fière mais assez empruntée, prêtant leurs personnes à l’histoire, au dessein du maître : c’est comme un retour aux débuts de la photographie populaire de studio, aux rapports entre photographe et sujet de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème, quand mon grand-père en uniforme allait se faire tirer le portrait (avant de mourir pour la Patrie). La juxtaposition des trois pompiers, parisien, londonais et new-yorkais, ne fait pas une série pour autant.
Rien d’encyclopédique, plutôt le hasard des rencontres, un intérêt marqué pour les cultures qui vont disparaître (qu’il montrera aussi dans d’autres travaux, au Pérou par exemple), pour les métiers du passé, rétameurs, rémouleurs, rempailleurs, que l’industrie moderne tue, mais aussi un attrait pour les tenues théâtrales des garçons de café parisiens. Alors que les publications de son travail dans les éditions française (’Visages et métiers de Paris’) et anglaise (’Small Trades’) de Vogue mettent plutôt l’accent sur la dimension reportage (alors que ce n’en est pas vraiment un), l’édition américaine, elle, en juillet 1951 (aux prémisses de la guerre froide), le replace dans un contexte moins pittoresque, mais plus social et historique : titrer l’article ‘A Gallery of the Unarmed Forces” est une glorification du travailleur, non pas du prolétaire exploité, mais de l’artisan indépendant, de l’ouvrier pré-capitaliste.
C’est à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu’au 25 juillet. Beaucoup de photos sur ce site.
Photos © The Irving Penn Foundation & Condé Nast.