S’il existe des metteurs en scène qui s’évertuent à changer de genre et de style à chaque film, Hong Sang-Soo n’en fait certainement pas partie. Il est plutôt de ces cinéastes s’escrimant à creuser un sillon, à faire de leurs films un genre en soi, à revisiter constamment, inlassablement les mêmes thématiques, les mêmes types de personnages et de situation. Et il fait partie de ceux qui le font bien (et inutile de dire que c’est loin d’être toujours le cas…). C’en devient presque étonnant. Que John Carpenter ait consacré sa carrière à faire des remakes plus ou moins déguisés de Rio Bravo d’Howard Hawks avec un talent constant peut se comprendre, le réalisateur américain ayant mis son talent au profit de différents genres et différentes situation. La réussite d’Hong Sang-Soo est plus surprenante.
Car le sud-coréen créé des œuvres moins malléables que le cinéma fantastique. Ses films se résument souvent à une poignée de personnages évoluant dans des milieux artistiques, buvant, parlant et couchant énormément. Des triangles amoureux, des mensonges, des engueulades. Toujours ces femmes, toujours ce cinéaste. A chaque film d’Hong Sang-Soo, il est tellement facile de penser que l’on sait ce que l’on va voir que l’on parvient tout de même à se laisser surprendre. Les femmes de mes amis a beau ressembler à Woman on the beach, Conte de cinéma ou La femme est l’avenir de l’homme, la comédie nous entraîne dans son sillage. Les personnages, un peu paumés, un peu rêveurs, un peu hystériques, amusent et prennent de court.Tout comme je ne pensais pas autant aimer Night and Day voilà deux ans, je ne pensais pas sortir si satisfait des Femmes de mes amis. Et pourtant.
Le cinéma de Miike n’a jamais vraiment été ma tasse thé (enfin… pas du tout même), mais le synopsis de celui-ci semblait suffisamment barré pour recéler un p’tit film fun. Comme je me suis trompé... Comme je me suis lourdement trompé. Izo est un guerrier du 19ème siècle, torturé et exécuté, qui revient un siècle plus tard, de nos jours, avec une soif de vengeance et de mort qui va décimer peu à peu tout ce qui se fait de dignitaires et gouvernants du coin.
Le film de Takashi Miike consiste donc essentiellement, pendant plus de deux heures, à regarder Izo courir partout, sabre à la main. Un coup de sabre par-ci, une tête qui tombe par-là, dans le bruit, dans la fureur, dans un râle rauque très bestial. De temps en temps cela parle, du blabla sortant de la bouche de mystérieux aristocrates s’inquiétant de plus en plus de ce vieux démon rongé par son karma qui court vers eux pour les massacrer, mais cette parlotte ne mène pas bien loin. Alors Miike retourne filmer Izo, affrontant d’autres samouraïs, deux, cinq, dix. Il affronte aussi des vampires. Il affronte des flics tirant à l’arme automatique. Combien de fois se fait-il trancher, combien de coups de couteau et de balles se prend-il, bien trop pour tenir le compte.
Mais toujours Izo se relève, plus furieux, plus sanguinaire, plus fatiguant. Si ce n’était que ça. Mais non, Miike ne s’est pas contenté de cette intrigue bête et bruyante, il lui a également adjoint des à-côtés ajoutant à la douleur du spectateur. Des images d’archives, de diverses guerres, se déversant régulièrement à l’écran. Des scènes de sexe ridicules, dont l’une incestueuse sur les bords est fort peu ragoûtante. Et le summum nous vient sous la forme d’un mystérieux musicien, hantant le film de sa silhouette et sa guitare, revenant à l’écran à peu près toutes les 12 ou 15 minutes pour nous chanter une chanson à la guitare au milieu d’un champ, dans une grotte inquiétante, ou au milieu des bois. A sa première apparition, il séduirait presque. Un son sec, une voix éreintée très inattendue, il apporte un décalage intéressant. Mais vient la seconde apparition. Puis la troisième. La quatrième, la cinquième, la sixième, la septième... La voix éreintée devient voix éreintante, il hurle en toussant, pendant que dans la salle, je m’affaisse en gloussant.
Bon bien sûr il y a la laideur visuelle, le scénario risible (mais profondément ennuyeux), les personnages qui disparaissent purement et simplement de l’intrigue sans que l’on sache ce qu’il advient d’eux, et bien d’autres défauts encore… Mais en fin de compte si je me souviendrai encore de ce film dans 20 ans, ce sera surtout grâce à cette voix qui donne envie de tousser lorsqu’on l’entend hurler sur sa guitare. Et Kitano dans tout cela ? Il a trois ou autre scènes, et sa tête finit comme beaucoup d’autres sous le sabre de Izo. Mais il faut souffrir plus de deux heures avant que cela ne se produise.
Qu’il est plus doux de rire avec Hong Sang-Soo que de crier avec Takashi Miike…