À moi pour toujours, Laura Kasischke.
Comment réagiriez-vous si vous trouviez une lettre dans votre boîte aux lettres du travail un billet ainsi rédigé : “Sois à moi pour toujours” ?
Sherry Seymour, elle, passe par différents états, mais il est difficile de résister à l’amour qu’on vous porte, surtout si l’admirateur est inconnu… Cela va la mener très loin… jusqu’au désastre.
Ce livre m’a fait penser à ce que dit Marguerite Duras dans l’extrait précédemment cité… Je me disais que c’était compréhensible que de nombreux cinéstes se précipitent sur les livres de Laura Kasischke, car elle écrit des histoires malignes et dérangeantes à souhait. Mais justement. Pour celui-ci, je me disais, il faudrait un cinéaste qui sache manier la légèreté d’une intrigue à rebondissements sentimentaux, un peu à la Desperate Housewives, mais qu’il ait le talent et la noirceur d’un Hitchcock, la subtilité d’un Noah Baumbach…
Et là, je me dis “stop”. Impossible. On ne peut pas adapter du Laura Kasischke : ce qu’elle écrit est impossible à filmer. Parce qu’au-delà des intrigues, c’est son style qui tient en haleine, sa prose pointue et acérée comme un couteau. C’est une vraie poétesse. A-t-on déjà adapté un poème ?
Lisez plutôt le début du roman :
“En ouvrant la porte pour sortir ce matin, je découvris, une écharpe de sang, gisant dans l’allée enneigée.
Comme un mauvais présage, comme une menace, ou encore un sinistre souhait de Saint-Valentin-une marque de pneu, et la fourrure aplatie d’un petit lapin marron.
La fleuriste avait dû l’écraser, en venant livrer les roses, déjà en retard à neuf heures du matin. En me tendant la longue boîte blanche sur le pas de la porte, elle n’a pas dit un mot d’une créature quelconque qu’elle aurait pu tuer sur mon allée. Elle n’a peut-être rien remarqué.
“C’est notre jour le plus chargé de l’année, me dit-elle, essoufflée. Naturellement.”
J’étais moi-même également en retard lorsque je l’avais vu. Que pouvais -je y faire ? Le mal était fait -complètement écrabouillé, sans aucun espoir- et nettoyer me semblait inutile. Il neigeait à nouveau. Très bientôt toute trace aurait disparu.
Mais une telle bouffée de chagrin me submergea, malgré tout, lorsque je vis ce petit bout de fourrure marron au milieu du sang, que je dus me tenir à la porte.”