Ce livre à la couverture en carton brut, très développement durable, mérite la création d’une toute nouvelle catégorie : les OLNI, Objets Littéraires Non Identifiés.
Car « L’homme de profil même de face », à l’image de son titre sans rapport (ou si ?) avec son contenu, en est un, c’est indéniable. Il est constitué de très courtes parties, la plupart d’entre elles longues d’une page seulement, alternance de brèves nouvelles (non, ce n’est pas un pléonasme) et de listes.
Aaah, les listes ! Incroyables, improbables, comme celle intitulée « Possibilités de transformation pour le personnage de La Métamorphose, autre qu’insecte, mais qui auraient changé le sens du texte » (p. 109) - Métamorphose que l’on retrouve citée dans la liste des « Phrases d’accroche rédigées pour une campagne destinée à inciter à la lecture des classiques, qui n’ont finalement pas été retenues » (p. 140) : « Devenir un insecte géant peut profondément changer votre vie. »
Les qualificatifs me manquent, je crois que reproduire certains extraits est encore la solution la plus parlante :
Pitchs d’évènements réels qui ne seraient pas crédibles s’il s’agissait de longs métrages (p. 16) :
« Une femme, gouverneur d’une province reculée dont elle n’est jamais sortie, se présente pour la coprésidence de la première puissance mondiale. Son programme comprend entre autres l’interdiction d’avorter, même en cas de viol. »
« La mise en place d’un système de prêts immobiliers destinés à une clientèle de condition modeste d’un pays conduit à une crise financière mondiale incontrôlable. »
Confidences faites deux ans plus tardqui portent pourtant à conséquence (p. 50) :
« Le lendemain matin, j’avais oublié ton prénom. Je l’ai retrouvé en regardant sur ta carte d’identité quand tu t’es levée pour aller dans la salle de bains.»
« Ca m’a étonné quand c’est devenu plus sérieux car pour moi, tu étais le profil classique du coup d’un soir. »
« Quand tu ne m’as pas demandé d’argent et qu’on a dormi ensemble, j’ai compris ma méprise, et t’ai proposé qu’on se revoie. »
Sujets de discussion dont on se lasse après deux minutes (p. 73) :
« Le tri sélectif »
« La souplesse des gymnastes chinois »
« Les préparatifs du mariage des autres »
« Le coût de la vie à Cannes »
« Le bilan des deux mandats de W. Bush »
Eléments qui figurent rarement dans les annonces de recherche de conjoint (p. 85) :
« Vie sentimentale désastreuse jusqu’ici »
« Ancienne playmate (1962) »
« Résultat au TOEFL : 740 points »
« Très procédurier en cas de séparation »
Eléments qui font douter de la nouvelle fonction de cadre intégrée récemment (p. 105) :
« Avoir dû coucher deux fois depuis votre arrivée avec votre assistante pour qu’elle accepte de classer vos documents. »
« Chercher la standardiste à son domicile dans la mesure où vous êtes celui qui géographiquement vous situez le plus près. »
« Garder les enfants du directeur général le jeudi soir. »
« Avoir repeint votre bureau vous-même à vos frais. »
Choses que mon fils qui a deux semaines peu faire, qui paraîtraient déplacées si je les faisais moi (p. 121) :
« Crier, pleurer et me tortiller en faisant mes besoins devant tout le monde puis redevenir soudain calme. »
« Vouloir manger quelque chose, et quand on me l’apporte finalement ne pas le manger. »
Clichés du monde du rap qui sont des motifs de licenciement en entreprise (p. 135) :
« Serrer contre soi chaque personne rencontrée dans les couloirs en lui tapant dans le dos. »
« Etre entouré en permanence de deux femmes en minishort et haut de maillot qui vous caressent régulièrement le torse. »
« Appeler tout le monde brother. »
Je trouve cela tellement génial que j’aurais voulu que cet objet regorgeant de trouvailles ne contienne que cela - des listes. Les textes qui n’en sont pas m’ont moins plus, j’ai trouvé qu’ils dénotaient dans ce recueil.
En fin d’ouvrage, Charly Delwart propose même une « Liste de listes possibles » (p. 161). Parmi elles se trouve la liste des « caractéristiques physiques sur lesquelles se construire une vie professionnelle ». C’est trop tentant, et c’est d’ailleurs peut-être le but, je me lance :
- très grande taille (basket, archives de bibliothèque)
- pilosité surabondante (culture de micro-organismes)
- protubérances à divers endroits du corps (cirque)
- cou ultra mobile (surveillance)
- quatre mains (piano)
- organes sexuels particulièrement développés (porno)
- visage inhumain (cinéma fantastique)
- pieds palmés (natation, plongée sous-marine)
- …
Faire passer un excellent moment et en plus donner envie de poursuivre… Chapeau bas, monsieur l’auteur (l’artiste, devrais-je dire), oui, vraiment très très bas.