Auréolé d’une récompense surprise aux derniers Oscars (meilleur film étranger), El secreto de sus ojos débarque sur les écrans français comme la petite curiosité du moment. Alternant les perspectives et les allers-retours dans le temps, ne sacrifiant jamais un sujet à un autre, ce film argentin est d’une richesse (et d’une finesse) implacable. Efficace lorsqu’il se perd dans les méandres des souvenirs, d’une enquête, d’un système judiciaire. Etonnant lorsqu’il ose des pointes d’humour dans le drame, de lumière dans la pénombre. Beau, enfin, dans sa peinture d’une histoire d’amour hésitante, passionnelle mais timide, effrayée par on ne sait quoi. Juan José Campanella séduit par la simplicité apparente d’une mise en scène qui mise tout sur son atmosphère étouffante, simplicité qui cache, en fait, l’immense complexité des émotions humaines, ou comment il est parfois impossible de dépasser l’obsession et le passé (individuel et collectif, politique et social). L’œuvre, elle, est multiple, prend autant de formes qu’il existe de genres, et se ballade fièrement, en ombre entêtante, sur les champs déconstruits du thriller (le twist final qui dérange pour les questions qu’il soulève), du mélodrame sentimental, de l’étude de caractères (avec une psychologie fouillée, appréciable, saisissante). En étreignant avec brio une gamme complexe de thématiques, l’outsider des Oscars offre une plongée remarquable au cœur des contradictions et des tourments. Une vraie belle surprise, sur ce qui n’est pas dit, sur ce qui ronge, sur l’amour et son contraire, et sur les souvenirs, affreux spectres dévoreurs d’âmes.
« N’y pensez plus, sinon vous aurez mille passés et pas de futur ».