Les cœurs autonomes, outre le fait qu'il s'agit du cinquième roman de David Foenkinos, est un très beau titre pour une histoire triste et macabre. Un drame plutôt, librement inspiré d'un fait divers des années 90 : un braquage qui finit mal (mais y a-t-il souvent des fins heureuses pour ce genre d'histoires ?), un couple d'amants meurtriers, un gâchis.
Ce roman diffère beaucoup des autres livres de l'auteur. Ici, point de fantaisie ni d'humour, mais un regard impuissant sur l'enfermement d'une jeunesse révoltée dans une pensée en cul-de-sac, dont la seule échappatoire est la mort. Où comment, par un rejet de plus en plus extrême de la société, on en finit par trancher un à un les liens qui nous rattachent à la commune humanité, pour devenir autre, monstre désespéré aux abois, égaré sur les sentiers de la folie ; comment on en arrive à vivre en circuit fermé sur ses propres obsessions et perdre tout sens des réalités ; comment l'idéologie qu'on adopte finit par corrompre toute chose et parer le quotidien d'un nihilisme qui explosera en un bouquet de violences.
Finalement, ce livre porte mal son titre : s'il est vrai que le désespoir a retranché les deux amants du commun des mortels et les a fait évoluer sur des orbites excentriques tels deux cœurs autarciques, l'un et l'autre ne sont pas autonomes l'un de l'autre, tant l'amour qui les unit a tissé entre eux des ascendances malsaines. Elle est mue par une admiration sans limites pour lui, il est dévoré par une pulsion de domination : leur amour est alors la tension qui existe dans ce différentiel de violence. A mesure que la réalité s'effondre autour d'eux et qu'ils s'enferment dans une vie peu à peu désertée par les repères de la raison, la nécessité de cet amour se resserre autour d'eux comme seul sens à donner à ce qu'ils vivent, comme seul antidote à l'amertume des illusions évanescentes. Dans cette réalité bornée par l'autre, l'escalade à la violence est imminente...
David Foenkinos retranscrit par des mots ciselés dans le plus sombre désespoir la lente chute de ce couple et contamine la lecture d'un intense sentiment de claustrophobie. La nausée n'est jamais loin, on aimerait pouvoir reprendre son souffle pour affronter en apnée ce chant lugubre.
- Les cœurs autonomes, de David Foenkinos, Grasset, 14,90 €.
(Photo : Bonnie and Clyde.)