Ceci est ma participation au jeu N°4 proposé par le blog Jeux d’écritures. Le blog à mille mains.Pour votre info : on part d'une photo et youp la boum :-)
A chaque fois que je regardais cette photo, je pleurais. J'essayais de la croiser le moins souvent possible. C'était désormais la seule trace que je gardais de ce stylo plume que m'avait offert Erika. La seule trace d'Erika.
A l'époque, elle était en vacances. Ici, près de Menton. Cette année-là, inexplicable, et durable surtout, une panne avait privé la région d'électricité. C'était un bazar sans nom, évidemment, mais nous sûmes en profiter.La batterie de mon portable avait vite rendu l'âme. Avec elle, j'étais devenu obsolète. On buvait des thé citron glacés tellement il faisait chaud. Elle les faisait elle-même me disait-elle. Elle n'avait pas d'âge. On aurait dit qu'elle avait eu milles vies. Un jour, elle était revenue du marché et elle avait posé ce stylo sur la table en me disant, tiens, cadeau, comme ça tu pourras écrire ! J'avais regardé cet objet étrange. Mes doigts d'enfant se rappelèrent soudain, presque violemment, toutes les heures passées avec ce compagnon. Simples, doubles, à petits carreaux, sans lignes, un nombre incalculable de pages avaient été couvertes de plume, traits déliés et pâtés incolmatables. Je savais que pour autant, cela n'avait pas guidé ma vocation, surgie sur le tard et avec une machine à écrire qui me faisait penser que j'aurais tout aussi bien pu travailler dans un commissariat de Police. A ma grande surprise, regardant mes paumes, je devinais des taches sur mes mains, je les redécouvrais, bariolées, comme tatouées. Elles n'avaient pas disparu ! Elles revenaient ! D'Erika, on aurait pu dire qu'elle était une sorcière. Ou une fée.Je me souvenais de ces cartouches capricieuses, de ce bouchon que je nettoyais parfois au coton tige, il me revenait à l'horizon mes hésitations quant à la couleur de l'encre que je souhaitais utiliser. C'était effroyable.Un stylo plume !Je le laissai longtemps posé là, faisant mine de l'observer sous toutes les coutures, le prenant en photo, même, plusieurs fois, jusqu'à cette pause parfaite. Le cliché éternel. Erika avait placé la chaise. Nous avions disposé quelques objets. L'arbre trônait bien qu'à l'arrière plan. Ma maison était juste derrière, c'était de là que j'avais vu Erika pour la première fois. Elle se baignait nue comme on se baigne nu en se pensant seul. J'étais revenu quelques jours durant, comme un moustique à son lampadaire, et puis j'avais opté pour des melons. Ils poussaient abondants, cette année. Je décidai de lui en apporter. Son regard me transperça lorsqu'elle ouvrit la porte et que je lui confiai l'objet de ma visite. Sur la photo, on devinait en y regardant bien un bout de la maison. Tout est là, tu vois, je lui avais dit. Il ne manque que nous, finalement, sur cette photo. Elle avait souri. Le lendemain, il pleuvait.Notre joli tableau prenait l'eau. Avec lui, notre histoire commencée quelques jours plus tôt. Je n'étais que le voisin de la maison, elle en était l'occupante provisoire. Je l'avais cru quand elle m'avait dit qu'elle était de la famille, qu'elle venait garder l'endroit pendant les vacances de Marthe et de Gérard, bien qu'ils ne nous aient rien signalé mais après tout, pourquoi pas. Souvent, des gens débarquaient ici et l'on apprenait que c'étaient des amis, des cousins, des neveux.La panne fut une sacrée aubaine d'autant que les miens étaient partis quelques jours plus tôt. J'avais argué du livre en cours à terminer au calme pour ne pas avoir à les suivre.Les nuits étaient longues et furent plutôt courtes.Erika, un matin, n'était plus là.Quelques semaines plus tard, téléchargeant les images, je tombai sur celle-là.Je n'ai plus jamais bu de thé citron.