Etat chronique de poésie 890

Publié le 16 mai 2010 par Xavierlaine081

890

Nous avons franchi les douze portes, payé les franchises et gabelles nécessaires à leur ouverture.

La nuit accompagnait nos roues qui tournaient, chargées du poids et de l’ardeur d’un temps de latence si longtemps attendu.

Participant de ces migrations saisonnières qui mènent les contemporains en d’infinies errances, nous avons écourté la nuit et ses rêves pour avancer, bien souvent solitaires, sur des rubans autoroutiers uniformes.

Les postes frontières imaginaires furent nos seules haltes sur le sentier de l’horizon. Des pluies parcimonieuses venaient ponctuer nos escales.

Lorsque nous abordâmes au rivage, le gris dominait tout : le gris et la boue.

Une langue marine terne nous séparait encore de l’île. Le pont enjambait l’espace, entre terre et eau mêlées, et ciel uniformément gris.

Nous avions pris l’habitude d’un voyage radieux. L’arrivée au port se faisait, parfois sous la pluie, mais jamais dans cette sensation de tristesse qui recouvrait les marais salants, les parcs à huîtres visiblement bousculés dans leur sage agencement.

Il y avait dans les regards croisés, comme une sorte d’affolement ; pire, la nécessité de remuer, de se bousculer, de renverser tout au passage, hagard, comme pour se prouver une existence soumise aux aléas de tempêtes qui se succèdent, ne laissantaux humains aucun temps de rémission.

La fatigue aidant, sans doute étions-nous dans cette hypersensibilité aux êtres et aux choses qui vous font douter de ce que vous voyez. Nous avancions, heureux et amers, épuisés et fourbus.

Ce temps, comme le climat, ne nous laisse décidément aucun loisir de flâner. Nous sommes prisonniers d’une course qui n’est pas la nôtre ne profitant qu’à une infime frange d’individus parmi nous.

Nous sommes les prisonniers d’une prison sans barreaux qui nous laisse sans répit.

La latence, le flottement sont sensations interdites au bagne de la vie sociale.

Le théâtre de la cruauté cher à Antonin est sorti de scène. Il court les rues et les campagnes, frappe de plein fouet les dunes et les traditions. Rien ne trouve égard à ses yeux, hormis l’impérative nécessité de l’argent, non comme moyen d’accès à une autre qualité de vie, mais comme moyen de dépenser et d’enrichir, encore et toujours, les mêmes.

Nous sommes bouchons, nos filets demeurent vides, nos coques de noix, vidées de toutes pensées cohérentes, oscillent au bon vouloir des courants, des marées, des vents furieux dont le mufle terrible couche nos forêts d’espérance.

Saint Pierre d’Oléron, 4 avril 2010

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