"Fragile et ornementale, référentielle et autonome, abstraite et narrative, l'oeuvre de Bojan Sarcevic déroute toute classification. Combinant librement depuis la fin des années 90 le dessin, l'aquarelle, la sculpture, la vidéo, la photographie, l'intervention in situ ou l'installation, l'artiste de façon déconcertante, invente des polarités conductrices entre ces différents médiums, reconfigure leur usage et leur symbolique, et met en forme le récit d'une poétique de l'espace, collective autant qu'individuelle, liée à la mémoire et à la transmission.
Un aspect du travail de Bojan Sarcevic s'apparente en effet à un processus d'appropriation, une réflexion sur la grande épopée formelle du modernisme, allant du constructivisme russe aux utopies architecturales de l'après-guerre. Toutefois l'artiste ne se contente jamais de citer ou de reproduire : cette matière référentielle n'est qu'un sédiment - parmi d'autres - d'une oeuvre stratifiée, dépositaire d'une histoire ouverte.
Cet art du déplacement et de la stratification est déjà perceptible dans WorldCorner (1999), où le fragment d'un appartement "glisse" comme un insert dans le lieu d'exposition, imbriquant le destin de ces deux architectures. Plus délicatement, ces hybridations et réminiscences familières caractérisent Replacethe Irreplaceable (2006), feuilletage de bois et de laiton qui rappelle la rampe d'escalier Art Déco aussi bien que les réalisations monumentales d'Adolf Loos, condensant l'épure et l'ornemental, le mouvement et l'hyperstatisme. Elles traversent aussi le projet OnlyAfter Dark (2007) composé de cinq pavillons dessinés comme des architectures modernistes à échelle domestique. A la fois sculptures autonomes, supports de projection et éléments d'architecture, les modules dessinent un parcours rythmé par les projections qu'ils abritent, visions fugitives sur celluloïd qui évoquent elles-mêmes certaines compositions constructivistes. Car si Bojan Sarcevic ne s'y enferme jamais, il approche cette esthétique moderniste et sa grâce rétro-futuriste comme essence - diffuse certes - mais structurante : d'où le caractère très architecturé de ses installations, que soulignent les jeux de symétrie, les rapports d'échelle, de matière et de transparence, l'harmonie des matériaux et des formes. Dans ces équilibres, la physicalité de l'oeuvre de l'artiste se fait très sensible, comme en témoigne Eventuellement, son projet pour l'exposition au Grand Café. Conçu en déploiements sériels, l'ensemble frappe par son élégance et son éclectisme matériologique : des cheveux s'entrelacent sur de fragiles brindilles, des aquarelles viennent se poser sur des structures métalliques qui suggèrent des appareils de musculation, des étagères cuivrées semblent échapper aux lois de la gravité... Autant de rencontres inattendues, toujours qualifiées de titres extrêmement poétiques, où la tension des matériaux se mêle à la polysémie esthétique de l'oeuvre, palimpseste qui invite notre mémoire visuelle à d'étranges flottements spatio-temporels"
Evidemment (madame piment) j'allais le dire...