Musée de l'Holocauste - Washington
Il semble que la cruauté particulière de la tragédie de l’Holocauste soit due, selon Goldhagen, dans Les bourreaux volontaires (1998, 15), à une haine démonologique des Allemands à l’égard des Juifs, grâce à un antisémitisme socialement conditionné. D’ailleurs, c’est cette thèse que Goldhagen assertera a posteriori en s’opposant à cinq explications plus classiques du drame de l’Holocauste, car elles n’arrivent pas à expliquer convenablement ce phénomène tragique.
Avant tout, la thèse de l’antisémitisme soutenue par D.J. Goldhagen se dessine à partir d’une analyse du type d’actes commis par les agents de l’Holocauste. Il les distingue en quatre catégories. Cette distinction permettra à Goldhagen de constater que la cruauté était systémique et elle relevait des processus organisationnels, plutôt que des actes commis par les agents de l’Holocauste.
Premièrement, Goldhagen rejette les deux premiers arguments classiques à l’aide des témoignages rapportés devant les juges par les agents de l’Holocauste. L’auteur s’oppose au second argument puisque les autorités SS permettaient à quiconque de se soustraire des tueries, donc les Allemands pouvaient faire le choix de ne pas participer aux meurtres de masse en demandant d’être assignés à une autre tâche (1998 : 509). De plus, il soutient qu’il est faux de croire le premier argument, parce qu’il est nécessaire de tenir pour légitime le pouvoir d’une autorité et que cette légitimité est conditionnelle au respect du régime ainsi qu’aux directives d’exécution du génocide. Donc, il devait assurément y avoir une source personnelle de motivation conforme à la visée exterminationniste du régime allemand.
Ensuite, les trois autres arguments classiques proposent que les actions des agents aient été motivées par différentes causes psychologiques. Goldhagen s’oppose à ceux-ci en vertu du fait qu’ils se désaffectionnent à l’idée qu’une nouvelle moralité ait conditionné l’acceptation des Allemands dans l’exécution de leurs tâches. La vision de l’auteur tend aussi à expliquer pourquoi certains actes des soldats outrepassent les directives des autorités allemandes (519). Le troisième argument se contredit lorsqu’il est appliqué globalement. En effet, il a déjà été dit que les Allemands étaient invités à se dispenser des actes qu’ils n’approuvaient pas, alors il ne peut s’agir que d’une petite fraction de l’ensemble des acteurs qui ait subi la pression des pairs (513). Ensuite, l’argument qui suit va à contresens des documents disponibles et qui prouvent qu’il n’est valable que pour un nombre limité d’agents. De plus, la majorité de ces derniers n’étaient pas des soldats de profession, alors pourquoi aspireraient-ils à être promus? (513-514). Enfin, la dernière explication classique ignore le fait que les acteurs de l’Holocauste étaient conscients de la situation. Par conséquent, ils « connaissaient parfaitement la signification de leurs actes, et il n’y a pas de raison de croire que ceux qui ne comprenaient pas très bien la situation auraient agi différemment s’ils avaient été éclairés » (514). En somme, s’il y a eu des facteurs d’influences et de pressions d’ordre psychologique, ils sont extrêmement négligeables.
Finalement, la cruauté des agents de l’Holocauste serait plutôt la cause d’un phénomène social qui conditionna l’allemand normal à adopter un point de vue spécifiquement antisémite (520). Il s’agit donc d’une nouvelle morale où le Juif n’est rien de plus qu’une vermine, ce pourquoi la finalité de l’Holocauste était un mal nécessaire. Ceux qui commettaient des actes de cruauté sont alors perçus comme de « bons Allemands » (519). Bref, la véritable question change : quelles sont les particularités sociopolitiques et culturelles de l’Allemagne Nazie qui ont mis la table pour les atrocités de l’Holocauste? D’après Goldhagen, la fidélité allemande envers leurs convictions antisémites les a faits prisonniers de leur idéologie (524-526). Ainsi, la conception démonologique de l’antisémitisme invite au génocide en favorisant la croyance que la mort d’un Juif ne consistait pas en une perte humaine, voire qu’ils n’avaient pas de choix à faire; la Solution Finale était nécessaire et moralement juste (526-529). D’après l’auteur, les valeurs et les croyances communes fournissent des explications qui semblent plus rigoureuses pour expliquer la tragédie qui lui semble ipso facto être une vengeance plutôt qu’une obéissance aveugle. Somme toute, l’élément central pour Goldhagen est : « l’antisémitisme raciste éliminationniste » (539) qui, par son aspect nationaliste, donna un sens à l’extermination et qui, par son aspect moraliste, motiva la cruauté allemande envers les Juifs (540-541).
*(Suite à venir : Regards sur l’Holocauste – Partie 2)
Avant tout, la thèse de l’antisémitisme soutenue par D.J. Goldhagen, dans Les bourreaux volontaires (1998, 15[1]), se dessine à partir d’une analyse[2] du type d’actes commis par les agents de l’Holocauste. Il les distingue en quatre catégories (1998 : 502) : 1) les actes ordonnés par une autorité qui sont cruels; 2) les actes qui ne sont pas ordonnés par une autorité qui sont cruels; 3) les actes ordonnés par une autorité qui ne sont pas cruels; et, finalement, 4) les actes qui ne sont pas ordonnés par une autorité qui ne sont pas cruels. Cette distinction permettra à Goldhagen de constater que, dans les catégories (1) et (2), la cruauté des acteurs était plutôt due au zèle d’initiatives individuelles, parfois aussi motivé par les ordres d’une autorité, mais surtout du fait que « c’était devenu pour eux une routine que de faire preuve d’initiative » (1998 : 503). À l’opposé, pour les catégories (3) et (4), la cruauté se manifestait autrement que par les actes directs des agents, par exemple la simple brutalité des camps, des institutions, des petits groupes isolés d’officiers ou de sous-officiers, etc. Bref, la cruauté était systémique et elle relevait des processus organisationnels, plutôt que des actes commis par les agents de l’Holocauste.
Subséquemment, il semble que la cruauté particulière de la tragédie de l’Holocauste soit due, selon Goldhagen (1998, 15), à une haine démonologique des Allemands à l’égard des Juifs, grâce à un antisémitisme socialement conditionné. D’ailleurs, c’est cette thèse que Goldhagen assertera a posteriori en s’opposant à cinq explications plus classiques[3] du drame de l’Holocauste. Selon l’auteur, elles n’arrivent pas à expliquer le rôle symbolique de la domination au moyen de la cruauté, le fait qu’il était possible pour tout agent de se dispenser des actes de cruauté, donc de considérer les témoignages des acteurs ensuivants la tragédie, et, surtout, les motivations des agents de l’Holocauste (1998 : 504-506).
Premièrement, il faut bien comprendre, selon Goldhagen que les deux premiers arguments classiques, qui soutiennent que : d’une part, 1) le peuple allemand soit aveuglément obéissant par nature; et, d’autre part, 2) il a été contraint à obéir docilement aux ordres, passent outre les déclarations rapportées par les agents lors des procès d’après-guerre (1998 : 506-512). En effet, à l’aide des témoignages rapportés devant les juges par les agents de l’Holocauste, Goldhagen dément (2), puisque les autorités SS permettaient quiconque de se soustraire aux tueries, donc que les Allemands pouvaient, s’ils le désiraient, faire le choix de ne pas participer aux meurtres de masse en demandant d’être assigner à une autre tâche, et que, par conséquent : « [les Allemands] ont choisi de dire oui » (1998 : 509). De plus, l’auteur soutient qu’il est faux de croire (1), parce qu’il est nécessaire de tenir pour légitime le pouvoir d’une autorité et que cette légitimité est conditionnelle au respect du régime ainsi qu’aux directives d’exécution du génocide. Autrement, les commandements d’un régime tenu pour illégitime n’auraient pas été respecté et « massacrer des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants […] n’aurait pu avoir que cet effet aux yeux de gens qui l’auraient considéré comme injuste » (GOLDHAGEN, 1998 : 510). Donc, il devait assurément y avoir une source personnelle de motivation conforme à la visée exterminationniste du régime allemand.
Ensuite, les trois autres arguments classiques proposent que les actions des agents aient été motivées par différentes causes psychologiques, soient : 3) la pression sociopsychologique exercée par les pairs; 4) les intérêts personnels; et 5) la fragmentation des tâches (GOLDHAGEN, 1998 : 512-520). Goldhagen s’oppose à ceux-ci en vertu du fait qu’ils se désaffectionnent à l’idée qu’une nouvelle moralité ait conditionné l’acceptation des Allemands dans l’exécution de leurs tâches et qui, par conséquent, tend aussi à expliquer pourquoi certains actes de cruauté des soldats outrepassent les directives des autorités allemandes (1998 : 519). D’abord, lorsque (3) est appliquée globalement, l’argument vient à se contredire lui-même. En effet, nous avons déjà mentionné le fait que les Allemands étaient invités à se dispenser des actes qu’ils n’approuvaient pas (voir paragraphe précédent), alors s’il était vraiment le cas que certains aient subi une pression provenant de la part de leurs pairs, il ne peut s’agir que d’une petite fraction de l’ensemble des acteurs (GOLDHAGEN, 1998 : 513). Ensuite, (4) va à contresens des documents disponibles qui prouvent que l’argument n’est valable que pour un nombre infiniment petit d’agents. De plus, la majorité de ces derniers n’étaient pas des soldats de profession, alors pourquoi aspireraient-ils à être promus, lorsqu’ils savent a priori qu’une fois la guerre terminée, ils reprendront leur train de vie normal? (GOLDHAGEN, 1998 : 513-514). Enfin, toujours d’après le même auteur, la cinquième, et dernière explication classique, ignore le fait que la majorité, sinon l’ensemble, des acteurs de l’Holocauste étaient hautement conscients de la situation et, par conséquent, le fait qu’ils « connaissaient parfaitement la signification de leurs actes, et [qu’il] n’y a pas de raison de croire que ceux qui ne comprenaient pas très bien la situation auraient agi différemment s’ils avaient été éclairés » (1998 : 514). En somme, s’il y a eu des facteurs d’influences et de pressions d’ordre psychologique, aux dires de Goldhagen, ils sont extrêmement négligeables.
Finalement, la cruauté gratuite des agents de l’Holocauste serait plutôt la cause d’un phénomène social qui conditionna l’allemand normal à adopter un point de vue spécifiquement antisémite, ce qui a le crédit de démentir les explications classiques de l’Holocauste à ce sujet (GOLDHAGEN, 1998 : 520). Il s’agit donc d’une nouvelle morale de l’Allemagne nazie, qui véhicule un antisémitisme où le Juif n’est rien de plus qu’une vermine pour l’imaginaire collectif allemand, ce pourquoi la finalité de l’Holocauste, ou la Solution Finale, devient ipso facto un mal nécessaire pour une pluralité d’Allemands. De fait, le sentiment au regard de la cruauté des agents de l’Holocauste devient moralement bon à bien des égards et ceux qui commettent ces actes sont dès lors perçus comme de « bons Allemands » (Goldhagen, 1998 : 519). En ajout, la véritable question change : quelles sont les particularités sociopolitiques et culturelles de l’Allemagne Nazie qui ont mis la table pour les atrocités de l’Holocauste? Aux dires de Goldhagen, les explications classiques sont trop abstraites pour rendre compte des faits historiques de ce phénomène. La fidélité allemande envers leurs convictions antisémites les ont faits prisonniers de leur idéologie, de que ces convictions sont dès lors perçues comme étant moralement justes (GOLDHAGEN, 1998 : 524-526). Ainsi, la conception démonologique de l’antisémitisme allemand a instauré une logique de raisonnement qui invite au génocide en favorisant la croyance que la mort d’un Juif ne consistait pas en une perte humaine, voire qu’ils n’avaient pas de choix à faire; la Solution Finale était nécessaire et moralement juste (GOLDHAGEN, 1998 : 526-529).
Pour conclure, d’après Goldhagen, la chasse aux Juifs, voire le nettoyage des ghettos, est devenue « une mission sacrée, rédemptrice » (1998 : 529-530
[1] GOLDHAGEN, Daniel Jonah, 1998, Les bourreaux volontaires, Paris, Points, pp. 501-544.
[2] Il est important de noter que cette analyse rejette toute forme de cruauté irrégulière dans le traitement des Juifs par les Allemands. Les catégories dressées par Goldhagen ne considèrent que les actes perma-nents et réguliers (1998 : 503).
[3]D’après Goldhagen, ces dernières faillent à expliquer de façon globale les tueries de l’Holocauste en négligeant l’aspect particulier de cette haine démonologique de l’antisémitisme allemand et, par conséquent, elles n’apportent que des réponses partielles qui ne sont d’aucune utilité pour comprendre le phénomène en question (1998 : 505-506).
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Regards sur l’Holocauste – Partie 1