La situation de la Grèce, qui préoccupe ses partenaires européens, nous renvoie à une situation qui résonne dans la vie de l’entreprise : on réalise que l’un des maillons de la chaîne de production de valeur est défaillant et menace les résultats de l’ensemble.
Le point de vue d'Eric Albert, président de l'Ifas.
La réaction des différents pays reflète ce que l’on peut rencontrer dans ce type de situations. D’un coté, le fort, dont la tentation est de pousser à l’exclusion, de l’autre, ceux qui savent qu’ils pourraient être dans la même situation que celui qui a été désigné et qui se gardent de tout commentaire. Enfin, ceux qui parlent beaucoup, disent ce qu’il faut faire et tardent à agir.
Notons que la Grèce a pu masquer, pour un temps, ses défaillances grâce à une banque américaine qui prône l’excellence à tous les niveaux et se fait une règle d’éliminer tout collaborateur défaillant. Il n'est d'ailleurs pas tout à fait sûr que cet élitisme poussé à l’extrême ne la conduise pas à chuter à son tour, mais c’est une autre histoire.
La question managériale posée par la situation de la Grèce est celle de l’attitude à adopter face aux difficultés majeures d’un collaborateur ou d’une équipe.
La première réaction est souvent influencée par la colère et l’incompréhension : comment les personnes en cause peuvent-elles être aussi irresponsables et peu professionnelles ? On pense spontanément sanction et éviction des "coupables". Si dans le cas de fautes graves cela peut s’avérer indispensable, cette première réaction émotionnelle n’est souvent pas la bonne. Elle crée une règle implicite de la sanction systématique face à l’erreur. Souvent, en marquant les esprits par son caractère brutal et sans nuance, elle reste dans l’imaginaire collectif pendant des années comme la menace qui pèse sur celui qui a failli.
Les effets induits sont connus, dissimulation des erreurs et recherche autour de soi de qui pourrait être désigné comme "plus mauvais".
Quel que soit le "moule" dans lequel on s'efforce de faire entrer les collaborateurs, la population d'une entreprise est plus ou moins le reflet de la société dans laquelle elle évolue. Si les managers aiment se concentrer sur la partie la plus performante et développer les hauts potentiels, ce sont les moins performants qui donnent le tempo de l’ensemble.
C’est pourquoi, c’est vers ceux qui ont le plus de difficultés que doivent se porter principalement l’attention et des efforts des managers. Lorsque ce n'est pas le cas, ils prennent le risque d’une entreprise à deux vitesses. Irrémédiablement, le fossé se creuse entre ceux qui, considérés comme performants, sont auréolés de toute la gloire et des récompenses, et les autres, auxquels on se contente de dire qu’ils n’ont qu’à faire comme ceux qu’ils envient. C’est parce qu’une cordée d’alpinistes progresse au rythme du plus lent que les attentions doivent se porter vers lui.
La cohésion de l’entreprise repose en grande partie sur cette capacité à accompagner ceux qui sont le plus en difficulté. Nous avons tous notre Grèce; à nous de faire en sorte qu’elle ne nous fasse pas couler.
Eric Albert ([email protected]) est Président de l'Ifas.
(cette chronique a été publiée dans Les Echos du mardi 11 mai 2010)