Onfray encore un effort pour être … philosophe
Par Nicolas Floury et Fabien Tarby
Quel homme sympathique ce Michel Onfray ! Tout sourire, le verbe haut, ne reculant pas à apostropher les patapoufs, à culbuter les idoles, à dégonfler les baudruches. Homme de gauche, à la gauche de la gauche même (comme nous, du reste), n’omettant jamais de rappeler ses origines modestes, de défendre les petites gens. Quelle verve ! Quel charisme ! Vraiment.
Alors nous vient l’idée de l’aider un peu, ce cher Michel Onfray. Oui, aidons-le à se hisser au rang de la philosophie véritable, nul doute que nous aurions tous à y gagner. Ô, c’est qu’il ne lui manque pas grand-chose, un presque rien. Ne dit-il pas lui-même qu’il faudrait poursuivre ce que Sartre avait initié sous le vocable de « psychanalyse existentielle » ? Sartre qui a écrit les 600 pages de L’Etre et le néant pour nous montrer que le sujet ne coïncide décidément jamais avec lui-même, qu’il reste divisé, coupé à jamais de sa propre identité.
Il vous faut franchir le pas, Monsieur Onfray. Et vous y êtes presque. Parce que ce sujet divisé, refendu, clivé, c’est la découverte de Freud. C’est le sujet du désir, le sujet de l’inconscient qu’a su débusquer Freud en écoutant ses patients.
On se demande donc si vous ne détestez pas, dans un geste et une endurance médiatiques, ce qu'au fond vous comprenez, et savez.
Toute réaction à Freud ne se comprend qu'à partir de sa pensée même. C’est que les anti-freudiens sont nécessairement des freudiens, voyez-vous ? Nous sommes aussi fondamentalement des freudiens que des coperniciens, des darwiniens. Ce qui ne signifie pas que nous acceptons tout crus les concepts de Freud, et que le Père Sigmund nous hante, nous castre... Cessez donc avec de telles images d'Epinal. Nous savons simplement que nous ne pouvons réfléchir à de tels concepts qu'en les prenant au sérieux. Qui pourrait aller contre cela, au nom de ce que fut l'homme « Sigmund Freud » ? Vous attaquez, en effet, ad hominem. Freud, dites-vous, par exemple, aimait l'argent (mais pas vous qui vous vantez pourtant de vos ventes à la télévision ?). Freud était ceci, l'homme était cela, la suite s'étirant dans un etc. écœurant et vain. Mais c'est là que toute philosophie est perdue ! Venons-nous visiter votre propre et personnelle déchetterie ? Que nous importe qui vous êtes ? Nous vous considérons, nous, comme pensée... Pourtant, qui était Freud, comme homme, comme individu s'efforçant de vivre, tel est, à peu près, le sens terminal de votre réflexion sur son œuvre. Voulez-vous donc, maintenant, donner des leçons de morale personnelle ? Vous ? Le pourfendeur du moralisme ? Êtes-vous donc le modèle, l'idéal du moi, et le moi idéal ?
Chassez-vous les sorcières, vous qui haïssez pourtant les inquisitions religieuses ? Croyez-vous que l'hédonisme suffise à établir le réel de ce temps ? Ignorez-vous que toute conscience, étrangement, en vient à rêver toute les nuits ? Que cela suffit à instaurer une question fondamentale sur notre être ? Ignorez-vous que toute jouissance n'est que dérisoire, provisoire, vous, le chantre de l'hédonisme ? Croyez-vous faire le tour des choses avec votre hédonisme de bon aloi, le fond de votre philosophie, alors même que votre idéal du libre plaisir est déjà à moitié captif de cette société de consommation et de spectacles ? La limite même de votre pensée...
Ce que Freud a vu, c'est justement que nous étions simplement humains, lui y compris. Votre méthode de lecture, apprenez-le, est fondamentalement réactive : vous lisez et comprenez en réaction à. Ce qui est fort triste pour un disciple de Nietzsche, comme vous. En avez-vous conscience ?
Bonne question...
Car la question aujourd’hui n’est plus du tout d’opposer la psychanalyse et la philosophie. C’est ce qui fait de vous, Michel Onfray, avec ce livre, un homme du passé, résolument. Il ne s’agit plus en ce début de XXIème siècle d’opposer philosophie et psychanalyse. Quel philosophe contemporain sérieux dira qu’il peut désormais penser sans tenir compte de l’apport de Freud ? Le sujet freudien, celui de l’inconscient, hante désormais toute philosophie véritable. C’est même à ce trait que l’on reconnait désormais les grands philosophes. Comment refuser Freud, refuser la théorie du sujet que l’on construit désormais à partir de lui, refondant ainsi la philosophie à tout nouveau frais ? Ce refus, ce rejet, cette forclusion, c’est ce qui fait que vous n’êtes pas, Michel Onfray, du moins pas encore, quant à cette question freudienne, philosophe véritable. Même si vous pouvez l'être en d'autres circonstances. Mais tout au plus êtes-vous, quant à la psychanalyse, un sophiste ; et on n’en manque guère par nos temps désorientés ; on ne vous apprend là rien.
Onfray nous fait ainsi songer à un homme qui aurait découvert, seul dans son coin, en autodidacte, que la Terre décidément n’est pas plate. Il faut annoncer la nouvelle, la rependre, informer l’opinion de toute urgence. Grande découverte certes, démonstration à l’appui. Mais cet homme, se confrontant aussitôt à ses pairs, s’entend dire que non seulement cela on le savait déjà, mais qu’en plus un dénommé Copernic avait déjà, et il y a fort longtemps, démontré plus encore : la Terre n’est plus le centre de l’univers, mais tourne sagement autour du Soleil. Mais oui, Monsieur Onfray, tout ce que vous dites de Freud est non seulement déjà connu de tous, mais tous en ont pris acte, et pensent de ce fait déjà bien loin devant vous.
Au moins Deleuze et Guattari, dans l'Anti-Œdipe, écrivait, en 1972, contre Freud mais c'était pour proposer quelque autre pensée du rapport entre le corps, l'esprit , la société. Et sans haine autobiographique, inutile, accessoire, secondaire. Freud n'est pas seulement Freud, mais une ouverture aux possibilités critiques infinies qu'une telle pensée délivre, dans le nouvel espace ainsi révélé. Le génie n'est pas une substance vraie, mais un nouveau territoire conquis pour le savoir de cette vérité, vérité mise par cette pensée en jeu.
Michel Onfray ne veut rien savoir de la découverte (révolution proprement copernicienne) de l’inconscient par Freud. Une telle « passion de l’ignorance », si elle était conséquente et naïve, mériterait même une invitation à déjeuner (c’est ce que faisait Lacan quand il rencontrait un sujet animé d’une telle passion, passion au fond assez rare). Sauf qu’Onfray ne dit pas tant « qu’il ne sait qu’une chose, c’est qu’il ne sait rien », mais tout au contraire, il affirme qu’il sait. Il sait lui qui est le véritable Freud : un simple imposteur. Sa doctrine : trafiquée, truquée, frelatée. Sa vie : celle d’un petit pervers de bas étage. Sa pensée : inexistante, nulle et non avenue.
Au fond quel dommage, cher Onfray, de vous priver volontairement de la formidable découverte freudienne, d’amputer ainsi votre pensée au point de vous priver tout accès possible à la construction d’une grande philosophie pour nos temps présents. Et pourtant Dieu sait que vous êtes l’un de ceux qui en est encore capable.
Allez ! Encore un effort Monsieur Onfray, tout n’est pas perdu, reprenez les choses du début, relisez donc une fois encore Freud et peut-être deviendrez vous enfin … philosophe.