Céline est garde-barrière sur une ligen secondaire, perdue dans la Bourgogne profonde. Elle y cache son mal intime, sa solitude,sa splendide chevelure et ses rondeurs. Céline est une peinture de Botero, un modèle lumineux de Botticelli, une Vénus, non pas sortie d'un coquillage, mais des brumes et des forêts de Russie: elle pèse son poids, ne passe pas inaperçue malgré son intégration dans le paysage villageois, mais a la légèreté d'une âme belle et généreuse. Elle est l'image d'une maternité Renaissance, celle qui fait défaut en ces temps désespérés où les rondeurs outragent la vue des regards gavés de gravures de mode, irréels androgynes, créatures d'une société qui tremble devant la pure féminité. Céline a la beauté d'une icône de la fécondité, elle possède la beauté que l'on ne veut pas voir car trop sensuelle et trop tentante, aussi, préfère-t-on la critiquer sournoisement, déverser un fiel jaloux sur sa blondeur de blé mûr, son châle de soie, sur lequel dansent des coquelicots, et ses coquetteries. Pourtant, elle plaît, la Céline, elle sait donner sans compter l'amour qui manque à Sylvestre et Noémie, enfants qu'elle garde et emmène dans l'univers débordant de sucreries et amusements de la fête foraine, ou à Anatolis, son vieil ami et voisin qui lentement se meurt. Elle les câline, leur montre combien ils sont importants et uniques, elle les entoure d'un amour sans fin, prolongement de ceux qu'elle a perdus, avec une dignité de Marie-Madeleine et la sensuelle beauté d'un poème de Baudelaire.
Céline est un éclat de vie que la tristesse d'un enfant perdu rend encore plus flamboyante, plus majestueuse, telle une reine d'un royaume disparu, entre la taïga russe et une voiture qui n'a pas pu s'arrêter à temps. L'ivresse d'une douleur qui enfle un corps autrefois somptueux, l'ivresse de la solitude qui offre en pâture aux esprits étroits et chagrin l'âme d'un ange égaré.
"La grosse" est un roman-tableau, clair-obscur d'une humanité tantôt lumineuse et transcendante de beauté, tantôt d'une noirceur suant la peur de ce qui n'entre pas dans la norme, éphémère mais dictatoriale, de canons voués à l'oubli. C'est aussi un roman-poème dont la force des mots et des images qu'ils suscitent est un chant merveilleux à la beauté plantureuse, et ô combien troublante, d'une fécondité et d'une maternité rayonnante que l'on veut oublier. A mesure que je faisais connaissance avec Céline, les images de Marie-Madeleine, de madones, de Vénus jaillissant des flots, dansaient au gré des mots, à la douce amertume de Françoise Lefèvre qui nous offre une ode sublime,et parfois triste, à la féminité étouffée par le mythe, réducteur, de l'androgyne.
"La grosse" est un très beau conte cruel sur le regard des autres, sur la différence et sur la fragilité des relations humaines. C'est aussi, et surtout, un magnifique roman où la poésie est sous chaque image, chaque mot, où les sensations sont reines, où les rires et les larmes se côtoient avec jubilation, où l'amour de la vie chante même lorsqu'apparaît son crépuscule. Un roman qui reste longtemps niché au creux de sa mémoire, au creux de son jardin secret....un petit bijou, tout simplement.
"Entre ses paupières, il contemple cette femme assise sur ses tibias. Flamboyante. Enorme soleil quand il incendie l'horizon. Juste avant de basculer dans la mer. Seconde crépusculaire. Oui, cette femme est LA lumière. Cette femme, comme les repasseuses d'autrefois, embaume l'air de son odeur d'aisselle lavée au savon de Marseille, frottée à l'essence de lavande. Sous l'effort sa peau prend le goût des marais salants. Ses cheveux ont un parfum d'amour, d'huile amoureuse et musquée. Elle redessine les côtes du vieil homme, les rassemble. Elle les compte avec la pulpe de ses doigts. Elle soulève ses fesses et les pétrit comme une pâte à pain. Elle lui balance des taloches d'amour. Elle oint ses membres et les frotte, les essuie de ses cheveux. Et en elle-même dit et redit cette prière: - Ne meurs pas! Anatolis, ne meurs pas! - Et chaque jour, oubliant sa propre peine, elle le ressuscite un peu." (p 33 et 34)
"Dans tes cheveux, Céline, l'odeur du feu de bois, de la mousse de chêne, des embruns. Tu es belle comme une statue reversée. Belle et blanche comme Léda et le cygne. Comme la Nuit gisante sur un tombeau, une minuscule effraie sur ses genoux. Me refuseras-tu la tendresse de tes bras?" (p 62)
Merci à Florinette, qui fait voyager depuis plusieurs mois ce très beau roman. D'ailleurs, il part très vite chez .