Il avait été vexé, notre président, d'avoir été accusé de tourisme diplomatique il y a 15 jours. Il n'avait alors pas interrompu son voyage en Chine alors que l'Europe boursière sombrait dans la dépression. Cette semaine, il a retrouvé son rôle de sauveur, mais toujours pas celui de président. Dès mercredi soir, il filait en weekend, pont de l'Ascension oblige. Les Bourses, elles, replongent.
Zorro ou zozo ?
Lundi, le gouvernement se félicitait, sur toutes les ondes, de l'accord historique trouvé la veille par les dirigeants européens : 750 milliards d'euros pour sauver la monnaie unique, dont 60 milliards de prêts financés sur fonds communautaires et immédiatement mobilisables, 440 autres milliards de garanties bancaires des Etats, 250 milliards d'euros garantis par le FMI et l'intervention concertée des banques centrales. Pompiers pyromanes, les Etats ont ainsi engagé 8% du PIB en nouvelles dettes et garanties bancaires. La ministre des Finances Christine Lagarde expliquait alors que le plan de soutien à la zone euro pourrait coûter environ 88 milliards d'euros à la France, soit 20% des 440 milliards. Le story-telling présidentiel a du jouer à plein pour vendre l'affaire :
1. Pour justifier un tel effort, on a crié que l'heure était grave. que la zone euro traversait « la crise sans doute la plus grave depuis sa création» (dixit Sarkozy samedi dernier). Elle l'était, mais pas si grave que cela. Pour preuve, les 750 milliards d'euros ne paraissent pas si historiques face aux 360 milliards de garanties bancaires offerts par le gouvernement Sarkozy à l'automne 2008 au profit des seules banques françaises.
2. La seule contre-partie à cette mobilisation des finances publiques a été d'accepter (d'imposer) une plus grande surveillance budgétaire des Etats. La France et l'Italie sont visées, tout comme la Grèce, l'Espagne ou le Portugal. La régulation des marchés n'a fait l'objet d'aucun engagement ferme des seize dirigeants de la zone euro. Ils étaient pourtant tous là, soi-disant le couteau (des marchés) sous la gorge. Ils auraient pu s'entendre sur quelque chose. Mais comme en 2008, ils se sont contentés de voeux pieux.
3. En France, on a insisté sur le rôle central de Nicolas Sarkozy: «Sarko le Zorro» a tout fait, tout initié, tout pensé, faute d'alter ego en Europe. Le président Van Rompuy de l'Union européenne s'est révélé inexistant ; les Britanniques n'avaient pas de gouvernement, les Polonais pas de président ; les Belges se chamaillent, les Espagnols sont trop endettés, et les Allemands réticents pour cause d'élection locale. En fait, le vrai président de l'Union européenne fut Barack Obama. Ce dernier, agacé des tergiversations européennes, a appelé longuement Angela Merkel avant la tenue du conseil européen du 7 mai, puis Sarkozy samedi, et à nouveau Merkel dimanche. Le boss, c'était lui.
4. Cette aide financière hors normes devait être décisive. Effectivement, dès lundi, les marchés furent euphoriques, dopés par ces belles promesses de garanties publiques. Mais cinq jours plus tard, le soufflet était retombé. La reprise économique est fragile, surtout en France. Les plans de rigueur, qui s'annoncent un à un en Europe, risquent de provoquer une rechute. Pire, le quotidien El Pais prétendait, vendredi, que Sarkozy avait menacé de sortir la France de l'euro. Le premier ministre espagnol Zapattero dément, mais le mal est fait. L'euro plonge à nouveau, pour atteindre son plus bas niveau depuis novembre 2008.
Candidat ou touriste ?
Mardi, le Monarque déambulait, le pas lourd, les épaules tressautant, dans le nouveau musée Beaubourg de Metz. Un symbole de la renaissance lorraine, a-t-il expliqué. Les ouvriers de Gandrange seront heureux de l'apprendre. A Paris, un député socialiste détaille les tracasseries gouvernementales contre l'enquête parlementaire sur l'attentat de Karachi. Mercredi, quelques députés UMP sont sortis ravis de leur entrevue avec le Monarque. Ce dernier a enfin prononcé «le» mot jusqu'ici tabou : «candidat». Sarkozy a déroulé le scénario de l'automne : Fillon et Woerth achèveront la réforme des retraites, puis changement de gouvernement, avec quelques «grosses» surprises, et la pré-campagne pour 2012 peut démarrer. Sarkozy a testé ses futurs slogans de campagne : limité à deux mandats grâce à «sa» réforme constitutionnelle de 2008, il pourra se montrer rassembleur et protecteur. Protecteur pour qui ?
Sur le papier, le slogan est porteur, mais connu. François Mitterrand déjà, en 1988, l'avait joué force tranquille et grand-père des Français, contre une droite à l'époque marquée par la vague libérale. Mais Sarkozy aura quelques difficultés à endosser le costume: son caractère ne s'y prête pas, sa politique encore moins. Les trois premières années de son action ont été marquées par l'aggravation des clivages sociaux : chômeurs, jeunes, pauvres, musulmans, on ne compte plus les catégories désignées à la vindicte populaire par le Monarque et ses proches.
D'ici l'été, deux réformes devraient être adoptées : les collectivités territoriales et les retraites. Concernant le premier projet, le gouvernement est en passe d'avoir la peau du scrutin proportionnel : mercredi, il a fait adopter un amendement par la Commission des lois de l'Assemblée, qui instaure le scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l'élection, tous les six ans, des conseillers territoriaux. Il faut protéger l'UMP coûte que coûte. Au-delà des régions et départements, l'enjeu est la reconquête du Sénat. En début de semaine, Nicolas Sarkozy tenait un sommet social. Il a annoncé la fin prochaine de la plupart des dispositifs d'aides sociales exceptionnelles décidés début 2009 sous la double contrainte de la crise et des manifestations de janvier 2009: allègement de l'impôt sur le revenu des foyers modestes, attribution de chèques emploi-service, primes, exonération de charges pour les TPE, tout y passe ou presque. Taisez-vous les pauvres ! Sur la belle page du site Elysée.fr, les communicants rappellent les aides qui seront maintenues : le plan Rebond pour l'Emploi (460 euros par mois pour les chômeurs en fin de droits qui n'auraient pu être reclassés), les contrats de transition professionnelle (15 000 bénéficiaires), le fonds d'investissement social, et le soutien à l'alternance.
Cette rigueur qui ne dit pas son nom agace. Elle est bien hypocrite : réduire les aides sociales serait une politique rigoureuse et légitime. Demander quelque effort aux plus fortunés serait la seule véritable austérité. Le faux débat perdure. Le Monarque a eu également quelques phrases au sujet des retraites : la réforme sera juste, a-t-il promis. Même les revenus du capital et du patrimoine seront mis à contribution. Incroyable ! En Sarkofrance, que les pauvres et les précaires payent et souffrent en silence est la règle. Que les rentiers et les fortunés contribuent un peu serait l'exception.
Sarkozy prétend que la reprise est là. Vraiment ? Au premier trimestre, le chômage a franchi la barre symbolique des 10% des actifs (d'après l'OCDE). La croissance du PIB a aussi été divisée par 4 par rapport au timide rebond du trimestre précédent (+0,1% versus +0,5%). Les dépenses de consommation des ménages stagnent (+0,00% !!), voire diminuent (-1,9% pour les produits manufacturés) ; la production ralentit (sauf pour l'énergie, hiver oblige). La contraction de l'investissement se poursuit, note enfin l'INSEE. Que du bonheur ! Jeudi, François Fillon a d'ailleurs adressé une lettre de cadrage à ses ministres pour la préparation du budget 2011. Il exigera «une baisse de 10 % en valeur des dépenses d'intervention sur la période 2011 à 2013», autrement dit des dépenses sociales et des subventions. Pas un mot sur la fiscalité. Alain Minc prévient que ce n'est «pas en faisant payer les riches qu'on remplit le trou».
La France précaire attend des solutions à ses problèmes. Dans un récent rapport, la Cour des Comptes souligne ainsi, une fois de lus, les inégalités du système éducatif : les zones d'éducation prioritaire sont moins bien dotées que les établissements classiques ; et les résultats scolaires en France sont plus corrélés au milieu social d'origine qu'ailleurs en Europe. Le gouvernement préfère faire voter par les députés une résolution contre la burqa, en vue d'une prochaine loi d'interdiction générale. Et ses ambitions écologistes sont réduites à un amas législatif de règlements rarement contraignants, adopté mardi par les seuls députés du camp présidentiel.
Mercredi soir, Nicolas Sarkozy était en vacances pour un weekend prolongé de quatre jours. On ne se refait pas.
Ami sarkozyste, où es-tu ?