A Time of Changes (1971)
Opta, 1974
Traduit par Alain Dorémieux
Sur la planète Borthan, peuplée depuis bien des siècles par des colons humains, l'obscénité est définie comme l'expression du moi : le pronom personnel « je » est exclu de la conversation polie, réservé à l'interpellation des prostituées ou aux insultes. Ici, on ne se raconte pas aux autres, à quelques exceptions près : les confesseurs, et les frères et sœurs par le lien (chaque individu en a deux, choisis dès la naissance). Fils cadet de monarque, Kinnal Darival va d'abord être contraint à l'exil par les inévitables rivalités dynastiques, puis s'engager dans un chemin de plus en plus divergent par rapport à la norme, consommant et distribuant une drogue qui permet une forme de télépathie, scandaleuse pour la bonne société borthanienne.
On ne sera pas étonné d'apprendre que les velléités messianiques de Kinnal Darival le mèneront au désastre, bien que l'existence même du livre que nous tenons entre les mains soit censée indiquer que ses idées ont prospéré. Borthan n'étant ni extraordinaire par sa géographie, ni futuriste dans son niveau de développement, le livre ne se rattache à la SF que par la curieuse société qu'il présente. De plus, il s'interdit les chamboulements historiques que la science-fiction aime mettre en scène ; Silverberg s'intéresse plus aux problèmes de la communication entre les personnes — Kinnal, avec son désir désespéré d'ouverture à ses frères humains, est comme une image inversée du télépathe vieillissant de L'Oreille interne, roman publié un an plus tard.
Au-delà d'une idéologie qui a un peu vieilli et que l'on pourrait qualifier de « californienne » (rôle de la drogue dans l'ouverture aux autres, idée que « l'amour des autres commence par l'amour de soi »), ce livre à l'écriture limpide et au déroulement inexorable se lit avec un immense plaisir, sans jamais laisser l'impression du moindre creux. Un témoignage de l'époque faste de Robert Silverberg.
Pascal J. Thomas