L’injustice, marronnier de toute élection présidentielle. En 1995, Jacques Chirac développe la fameuse thèse de « la fracture sociale », et se fait le défenseur d’une nouvelle France soudée et égalitaire. En 2007, le candidat Sarkozy remet lui aussi la question des injustices au centre des débats. En consacrant la valeur travail, il promet l’avènement d’un pays où la réussite est possible, où l’ascenseur social fonctionne pour ceux qui s’en donnent les moyens. Une France de la méritocratie qu’il veut incarner, lui le fils d’immigré, parvenu au sommet du pouvoir. Pourtant, 3 ans après son élection, le sentiment d’injustice n’a jamais été aussi prégnant dans la société française.
Une notion d’injustice parfois confondue avec l’inégalité. L’inégalité est une différence de traitement entre des individus. Des inégalités qui ne sont pas toutes forcément injustes, ni d’un point de vue éthique, ni comparativement aux principes fondateurs de notre démocratie et selon lequel les hommes naissent libres et égaux. Décryptages sur ces sentiments qui n’ont jamais paru aussi insupportables aux yeux de nos concitoyens et seront au cœur de 2012.
Les inégalités se creusent
Selon nos compatriotes, le doute n’est pas permis : les inégalités s’accroissent entre les individus. Ainsi, 67 % des Français estiment que depuis une dizaine d’années la société est plus inégalitaire. Et dans le tableau dressé, les inégalités citées en premier sont d’ordre économique et sont ancrées dans le quotidien. Dans cette perspective la lutte contre l’inégalité n’est pas un concept idéologique, mais une attente très concrète et revendiquée par une majorité de français.
Citées par plus plus d’un français sur deux, les inégalités liées au salaire représentent le premier sujet de frustration. 52% des Français jugent que « les inégalités liées au salaire sont celles qui s’aggravent le plus ». Une sensibilité au salaire corroborée par toutes les enquêtes d’opinion qui placent la question du pouvoir d’achat sur le podium des préoccupations. Face à des salaires qui stagnent, nos concitoyens comparent et s’exaspèrent de voir certaines catégories voir leurs revenus fructifier, alors qu’eux mêmes ont l’impression de payer le prix fort.
Evoquée par 37 % de nos concitoyens, la question de l’emploi constitue la seconde inégalité. L’effet crise joue à plein et consacre une fracture entre les citoyens insérés dans le marché du travail, et ceux qui en sont exclus.
En troisième position seulement, on retrouve la question des discriminations. La couleur de peau est citée par 28% de nos concitoyens. Par ailleurs, 18% des sondés citent la nationalité comme facteur d’inégalité. Enfin, la question du handicap est quant à elle clivante. Si 21 % des Français estiment que les personnes handicapées souffrent plus aujourd’hui qu’hier d’une inégalité de traitement, 22% jugent que les inégalités liées au handicap reculent. De même, les Français sont plus nombreux à considérer que les inégalités liées au sexe reculent dans notre société.
L’inégalité est-elle injuste ?
De façon intéressante, la même proportion de français considère que la société française est injuste, c’est-à-dire qu’elle ne donne pas à chacun la place qu’il mérite.
Selon l’Ifop, pour 69% de nos compatriotes, la société française est injuste. Le portrait robot du français inquiet par la montée de l’injustice ? Il a entre 35 et 64 ans, gagne moins de 1500 euros par mois, exerce la profession d’ouvrier, et vote pour un candidat d’extrême gauche. Mais ce sentiment d’injustice est diffus, et excède les franges les plus populaires. Ainsi, les employés sont les plus nombreux (39%) à juger la société française très injuste. Petite classe moyenne, elle représente en France cette catégorie qui s’estime lésée. Trop riche pour profiter du système, trop pauvre pour bien vivre. Au cœur de ses frustrations, on retrouve une myriade de symboles qui ont déréglé le mouvement.
Dans le viseur de nos concitoyens, il y a d’abord les avantages réservés aux grands patrons – retraites chapeaux, parachutes dorés-, et qui sont les premiers motifs d’injustice. Ce n’est pas d’abord les salaires des grands patrons qui sont jugés scandaleux, mais les à côtés, les « cadeaux faits aux riches » - qui sont jugés inexcusables parce qu’ils sont perçus comme des octrois conçus en dehors de toute légitimité.
Et c’est peut–être ici que la rupture a lieu entre les Français et le système. Le système est inégal mais pas injuste quand il rémunère chacun en fonction de son mérite. En revanche, le système tout entier est faussé quand nos concitoyens ont le sentiment qu’un deuxième monde co-existe en marge du système qu’ils connaissent. Plus que les écarts en valeur absolue, ce sont les différences de traitements qui heurtent nos compatriotes. Que ce soit la différence de statut entre les salariés du privé et du public, qui est citée en troisième position, ou les bonus des traders, cités par 35% de nos concitoyens, les passe droits, même légaux, sont dans la ligne de mire.
En réalité, ce sont tous les symboles d’une société à deux vitesses qui sont montrés du doigt. Alors, face à cette exaspération croissante, comment les candidats de 2012 peuvent-ils se positionner ? Suite de l’article dans le prochain billet.