Naples, lundi 22 Février. – Travaillé une partie de la nuit, in fact it was 4 a.m. When I went to bed, lavorando per il MS Autographe cioè per Jean Royère. – Alzato tardi, e usciti insieme per dejeûner, this time D'A Bersagliera cioè nell'altro ristorante « sotto ripa » in faccia al Castel dell' Ovo. – Puis promenade à pied Villa Francesco De Sanctis. Retour à pied le long de la mer, et donné les photos (anche quelle fatte a Civitavecchia, Ostia e Roma) à développer dans une boutique voisine du Continentale. - Un heure dans la chambre, puis sortie en tram 18 jusqu'à la Poste Centrale où j'ai trouvé un petit courrier (nouvelles de Valbois, un mot de Jean Paulhan, une lettre de Giovanni Comisso, de San Remo ; etc.) A pied Pza Dante, et tram n°7 pour le Vomero, jusqu'à Pza Vanvitelli. Assez ému par ce retour « au pays » : mon quartier, mes fenêtres (devenues, depuis, celles de Lucas Letheil dans Mon plus secret conseil...). Aucun changement dans l'architecture, mais un plus grand nombre de magasins, et mieux éclairés, tant via Scalatti que Pza Vanvitelli. La « Grocery » qui était en face de ma fenêtre sur la rue qui mène au funiculaire de la Chiaha, s'est déplacée et a été remplacée par une pâtisserie-caffè, dont l'enseigne est : Unica. Nous avons flâné là un moment, pris un léger goûter, et fait de petits achats de bouche, redescendant en ville par un tram 28, qui fait un long circuit par la via Tasso, le Corso Vittorio Emanuele, la via dei Mille, v. Domenico Morelli, etc., passant près de l'endroit où Lucas Letheil trouve la carrozzella qui mène à la Gare Centrale. (J'y ai pensé avec une telle intensité en composant Mon plus secret conseil..., j'y suis effectivement revenu en pensée, qu'à présent mes souvenirs personnels liés à ces endroits-là (mais pas ceux du Vomero même, ceux que j'ai appliqués à la descente de Lucas Letheil seulement) ont cédé la place à ces souvenirs imaginaires ; et je conçois comment beaucoup de légendes ont pu se former ; comment, par exemple, quelqu'un qui n'aurait jamais vu le Pape, ne serait jamais allé à Rome, pourrait, après avoir lu des récits de cérémonies dans S. Pierre et y avoir beaucoup pensé, être certain, après un grand nombre d'années, d'avoir le Pape, d'être allé à Rome, etc. Voici l'explication : j'ai fait, en 1904, à plusieurs reprises, entièrement et en parties, cette descente du Vomero à la Chiaja, à pied ; mais toujours dans des circonstances banales, indifférentes ; tandis que j'ai fait faire cette même descente à mon personnage dans des circonstances pour lui exceptionnelles et quasiment dramatiques ; je l'ai refaite avec lui, dans sa peau, partageant ses sentiments, son inquiétude, ses préoccupations etc. ; et il est assez naturel que maintenant les souvenirs de mes promenades de 1904 entre le Vomero et le Chiaja, souvenirs du décor, des lieux, se trouvent indissolublement liés à mon personnage et à son action dans ces lieux ; de sorte qu'en revoyant le coin de la via dei Mille je pense aussitôt à Lucas Letheil trouvant là la première carrozzella de la journée.
Valery Larbaud, D'Annecy à Corfou in Journal, Gallimard, p.922-923.
Après légère pause, reprise Larbaud. Ce passage en particulier, entre Annecy et Corfou, retient mon attention. Parce que j'y reconnais le même mécanisme de la mémoire qui vient fixer, dans des espaces réels, des instants de fiction pure. Je revois souvent le périple du narrateur de Coup de tête, par exemple, en revenant quelques jours à St-Etienne. Son périple n'est pas le mien, n'est pas superposé au mien, il reste le sien, le sien à part entière. V. à l'époque s'était demandée pourquoi je devais tellement fixer les lieux avant de les écrire (habitude qui m'est complètement passée depuis ?) et je n'avais pas su répondre (ou alors j'ai répondu puis oublié ma réponse, ce qui revient au même). La réponse est simple : parce que le texte le nécessitait. Pas besoin d'en savoir plus.(Et, toujours, bien sûr, le fil #Larbaud qui suit son cours...)