Scott Hahn, De la foi de Luther à la foi de Pierre 6

Publié le 14 mai 2010 par Walterman

Pendant ce temps, Gerry et moi poursuivions nos conversations téléphoniques. Il m'invita un jour à venir rencontrer avec lui l'un de nos plus brillants maîtres, le Révérend John Gerstner, théologien calviniste aux convictions fortement anti-catholiques, qui avait été formé à Harvard. Gerry lui avait dit que nous faisions une étude approfondie sur ce que l'Eglise catholique affirmait. Aussi était-il plus que désireux de nous rencontrer pour répondre à nos questions.

Gerry organisa la chose. Nous pouvions apporter nos Nouveaux Testaments en grec, nos Bibles hébraïques, le texte latin des conciles et tout ce que nous voulions. Nous devrions être prêts à débattre de tout et spécialement de la sola fide.

Nous devions dîner tous les trois à la York Steak House, non loin de chez Gerry à Harrisburg. Ce qui voulait dire que le révérend Gerstner et moi allions voyager ensemble en voiture pendant plusieurs heures à l’aller comme au retour. J'étais à la fois enthousiasmé et nerveux à l'idée de discuter avec un savant aussi fervent et érudit.

A l’aller, le révérend et moi avons passé quatre heures d'intenses discussions théologiques. Je lui présentais l'ensemble des arguments que j'avais accumulés, montrant que l'Eglise catholique était l'aboutissement de l'histoire du salut de l'Ancien Testament et la personnification même de la Nouvelle Alliance.

Le Révérend écouta attentivement, réagissant avec intérêt et respect à chacun de mes points. Il semblait considérer mes arguments comme quelque peu nouveaux. Cependant, il insistait sans cesse, disant que rien de tout cela n'obligeait qui que ce soit à faire parti de l'Eglise catholique qu'il appelait "la synagogue de Satan".

A un moment donné, il me demanda :

« Scott, quelle référence biblique as-tu trouvé en faveur du Pape ?

-       Vous savez, mon Révérend, combien l'Évangile de Matthieu insiste sur le rôle de Jésus comme Fils de David et Roi d'Israël, envoyé par son Père pour inaugurer le Royaume du ciel. Je crois que Mathieu 16, 17-19 nous indique comment Jésus le fonde. Il donne trois choses à Simon : premièrement, le nouveau nom de "Pierre" (la pierre) ; deuxièmement, la promesse de fonder son Eglise sur Pierre ; et troisièmement, les clefs du Royaume du ciel. C'est ce troisième point que je trouve le plus intéressant. Quand Jésus parle des clefs du Royaume, il fait référence à un passage important de l'Ancien Testament. Il s'agit d’Isaïe 22, 20-22, ou Ezéchias, l'héritier royal du trône de David et Roi d'Israël au temps d’Isaïe, remplaça son ancien premier ministre, Shebna, par un nouveau du nom d’Elyaqim. Tout le monde savait lequel des membres du cabinet royal était le nouveau premier ministre, du fait qu’il avait reçu les "clefs du Royaume". En confiant à Pierre les "clefs du royaume", Jésus-Christ créait le poste de premier ministre pour gérer l'Eglise, son Royaume sur terre. Les "clefs" sont donc le symbole de la charge de Pierre et de sa primauté devant être transmises à son successeur ; et c'est bien ainsi qu'elles l’ont été à travers les siècles. »

Il répondit : « Ca, c'est un brillant argument, Scott !

-       Mais comment nous, protestants, le réfutons-nous ?

-       En fait je ne suis pas certain de l'avoir jamais entendu. Il va falloir que j'y réfléchisse un peu plus. Présente-moi les autres points. »

Alors je continuai et en lui décrivant comment la famille par alliance était le principe unificateur ou l'idée maîtresse de la foi catholique. Elle expliquait le rôle de Marie comme notre mère, du Pape comme notre père, des saints comme nos frères et sœurs, des jours de fête comme jours commémoratifs ou anniversaires de naissance.

« Mon Révérend, tout prend tellement son sens quand on regarde l'alliance comme le pivot central de l'Ecriture Sainte ! »

Il m'écouta avec attention :

« Je pense, Scott, que tu vas trop loin avec ton histoire d'alliance.

-       C'est possible, mon Révérend, mais je suis absolument convaincu que l'alliance est au centre de toute l'Ecriture Sainte, ainsi que l'ont enseigné les plus grands protestants comme Jean Calvin et Jonathan Edwards. Je suis également convaincu que l'alliance n'est pas un contrat dans le sens où eux l'avaient compris, mais plutôt un lien familial sacré entre Dieu et son peuple. Si j'ai tort sur l'un ou l'autre de ces points, montrez-moi mon erreur, je vous en prie. Vous pouvez peut-être sauver ma carrière. »

Il me dit : « Attendons d'être avec Gerry. »

Arrivé au rendez-vous, nous nous sommes attaqués à de nombreuses questions pendant des heures, mais surtout à la question de la justification. Je présentai la position catholique selon laquelle la justification n'est pas seulement un acquittement mais, d'après le concile de Trente, un enfantement divin. Pendant six heures, Gerry et moi avons présenté diverses positions catholiques. Aucune ne fut réfutée. Nous avons aussi soulevé de nombreuses questions dont les réponses ne me satisfirent pas.

À la fin, Gerry et moi nous sommes regardés. Nous étions livides, en état de choc. Nous avions tous deux espéré et prié pour que quelqu'un nous évite de subir l'humiliation de la conversion.

Pendant le court instant où nous nous sommes retrouvés seuls, je dis à Gerry : « J'ai l'impression d'avoir été trahi par notre tradition réformée. Je suis venu ici pensant que nous allions être complètement défaits. Or l'Eglise catholique n'a perdu sur aucun front. Les textes du Concile de Trente qu'il nous a présenté étaient cités hors de leur contexte. Sans le vouloir, il nous a donné une fausse représentation des canons en les isolant des définitions contenues dans les décrets. »

Durant le voyage de retour, je discutais encore davantage avec le Révérend Gerstner. Je lui demandai de m'indiquer où la Bible enseignait la sola scriptura. Il ne me cita aucun nouvel argument. Au lieu de cela, il me posa une question : « Scott, tu es bien d'accord que nous possédons dans l'Ecriture la Parole de Dieu inspirée et sans erreur, alors qu'avons-nous besoin de plus ? »

Je répliquai : « Je ne pense pas, mon Révérend, que la question principale porte sur nos besoins, mais, puisque vous me posez la question, je vais vous livrer mon sentiment. Depuis la Réforme, plus de vingt-cinq mille confessions protestantes sont apparues et des experts nous disent qu'il s'en forme actuellement cinq nouvelles chaque semaine. Chacune d'elle prétend suivre l'Esprit Saint et la signification évidente de l'Ecriture. Alors Dieu sait à quel point nous devons avoir besoin de quelque chose de plus. Prenons un exemple : lorsque les fondateurs de notre pays nous ont donné la Constitution, ils ne se sont pas arrêtés là. Vous imaginez-vous où nous en serions aujourd'hui s'ils s'étaient contentés de nous donner un document, aussi bon soit-il, suivi d'une invocation du genre : "Que l'esprit de Washington guide de chacun des citoyens" ? Nous serions en pleine anarchie, et c'est bien ce que nous avons, nous protestants, en ce qui concerne l'unité ecclésiale. Au contraire, les fondateurs de notre patrie nous ont donné quelque chose de plus que la Constitution. Ils nous ont donné un gouvernement, composé d'un Président, d'un Congrès et d'une Cour suprême. Tous sont nécessaires pour administrer et interpréter la Constitution. Si cela suffit tout juste au gouvernement d'un pays comme le nôtre, imaginez ce qu'il faut pour gouverner une Eglise à la dimension du monde entier ?

C'est pourquoi, mon Révérend, j'en viens personnellement à penser que le Christ ne nous a pas seulement laissé un livre et son Esprit. En fait, dans aucun Évangile il ne demande à ses apôtres d'écrire. D'ailleurs, à peine la moitié d'entre eux ont écrit l'un ou l'autre des livres qui constituent le Nouveau Testament. Ce que le Christ a dit à Pierre, c’est : "Sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise..., et les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle." Par conséquent, le bon sens n'incite à penser que Jésus nous a laissé son Eglise composée d'un Pape, d'évêques et de conciles qui tous sont nécessaires pour administrer et interprété l'Ecriture. »

Le Révérend Gerstner réfléchit un moment. Tout cela est très intéressant, Scott, mais tu as dit que tu pensais que ce n'était pas la question primordiale. Alors, c'est quoi, selon toi, la question primordiale ?

-       Mon Révérend, je pense que la question primordiale est ce que l’Ecriture Sainte nous enseigne au sujet de la Parole de Dieu, car il n'y a aucun endroit où elle réduit la Parole de Dieu à la seule Ecriture sainte. Au contraire, la Bible nous dit, à plusieurs endroits, que la Parole de Dieu qui fait autorité se trouve dans l'Eglise : dans sa Tradition (2 Th 2, 15 ; 3, 6), sa prédication et son enseignement (1 P 1, 25 ; 2 P 1, 20 21 ; Mt 18, 17). C'est pourquoi je pense que la Bible appuie le principe catholique du solum verbum Dei, "la Parole de Dieu seule", plutôt que la maxime protestante sola scriptura, "l'Ecriture seule". »

Le révérend Gerstner continuait pourtant a affirmer que la Tradition catholique, les Papes et les conciles œcuméniques enseignaient tous ce qui est contraire à l'Ecriture Sainte.

« Ce qui est contraire à quelle interprétation de l'Ecriture ?, demandai-je. D'ailleurs, les historiens de l'Eglise s'entendent pour dire que nous tenons le Nouveau Testament du Concile d’Hippone en 393 et du Concile de Carthage en 397, lesquels ont transmis leurs décisions à Rome pour les faire approuver par le Pape. C'est donc une bien longue période, entre l’an 30 et !’an 393, de privation du Nouveau Testament, n'est-ce pas ? A cette époque, il y avait bien d'autres livres que certains responsables de communautés considéraient comme inspirés, tels l’épître de Barnabé, le Pasteur d’Hermas et les Actes de Paul. Il y avait aussi plusieurs livres du Nouveau Testament, comme la 2e lettre de Pierre, la lettre de Jude et l'Apocalypse, que certains estimaient devoir être exclus. Alors, auprès de qui devrions-nous chercher une décision fiable et définitive, si l'Eglise n'enseigne pas avec une autorité infaillible ?

Le Révérend Gerstner répliqua calmement : « Les Papes, les évêques et les conciles peuvent commettre des erreurs et en commettent. Comment peut-tu penser, Scott, que Dieu rende Pierre infaillible ? »

Je réfléchis un instant : « Eh bien ! mon Révérend, les protestants et les catholiques sont d'accord sur le fait que Dieu a certainement rendu Pierre infaillible au moins dans certaines occasions, par exemple lorsqu'il écrivit la première et la seconde épîtres de Pierre. Alors, si Dieu a pu le rendre infaillible quand il enseignait avec autorité par écrit, pourquoi ne pourrait-il pas le prémunir contre des erreurs lorsqu'il enseignait avec autorité en personne ? De la même façon, si Dieu a pu le faire pour Pierre, et pour les autres apôtres qui ont écrit l'Ecriture Sainte, pourquoi ne pourrait-il pas le faire aussi pour leurs successeurs, surtout s'il entrevoyait l'anarchie qui s'ensuivrait s'il ne le faisait pas ? D'ailleurs, mon Révérend, comment pouvons-nous avoir l'assurance que les vingt-sept livres du Nouveau Testament sont l'infaillible Parole de Dieu, si ce sont des conciles de l'Eglise et des Papes infaillibles qui en ont dressé la liste ? »

Je n'oublierai jamais sa réponse :

« Scott, cela signifie seulement que tout ce que nous pouvons détenir aujourd'hui, c'est un ensemble faillible de documents infaillibles ! »

Je lui demandai : « Est-ce vraiment la meilleure réponse que puisse nous donner le christianisme protestant historique ? »

« Oui, Scott. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de tirer de l'évidence historique un jugement de vraisemblance. Nous n'avons aucune autorité infaillible que celle de l'Ecriture Sainte !

-       Mais, mon Révérend, comment puis-je avoir la certitude de véritablement lire l'infaillible Parole de Dieu quand j'ouvre Mathieu, Romains ou Galates ?

-       C'est comme je te l'ai dit, Scott. Tout ce que nous avons, c'est un ensemble infaillible de documents infaillibles. »

De nouveau, ces réponses ne me satisfaisaient pas du tout et, pourtant, je savais qu'il représentait fidèlement la position protestante. Je restai assis, réfléchissant à ce qu'il avait dit sur la question fondamentale de l'autorité, et à la logique incohérente de la position protestante.

Tout ce que je pus répondre fut : « Alors il m'apparaît, mon Révérend, qu'en fin de compte, il nous faut avoir la Bible et l'Eglise, les deux ou aucune ! »