Frans de Waal est professeur de psychologie à l’université Emory, docteur en biologie, éthologue de renommée mondiale, primatologue et directeur du Living Links Center au Yerkes National Primate Research Center à Atlanta et l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels le récent et remarquable L'âge de l'empathie (Editions Les liens qui libèrent).
Dans ce livre, il montre, avec de nombreux exemples à l'appui, que les animaux, mammifères ou non, sont prêts à s'entraider et se porter secours et que la compétition, la concurrence, l'égoïsme sont négligés voire rejetés au bénéfice de la coopération et de l'empathie.
A l'occasion d'un entretien accordé au quotidien Libération, voici ce qu'il pense de la séparation, voulue et entretenue, par les grandes religions, les philosophes, les psychologues, entre animal et homme.
" La psychologie vient de la philosophie et la philosophie vient de la théologie. Dans les départements de psychologie et de philosophie, il y a toujours eu une forte tendance à mettre l’accent sur la distinction homme/animal. On est tout le temps en train de s’y demander quel est le propre de l’homme.
A la différence des biologistes, pour lesquels l’homme est un animal.
Pour moi, c’est intéressant de regarder les psychologues : ils essaient toujours de tracer cette ligne de séparation et ils ne sont d’ailleurs jamais contents. Ils ont d’abord dit que la spécificité de l’homme tenait à l’usage des outils, puis à la culture… Au fur et à mesure que leurs arguments tombent, ils en proposent d’autres.
Mais je ne pense pas qu’ils trouveront, parce que toutes les grandes capacités, comme la moralité, se divisent en petites capacités, présentes chez les animaux. Dans la morale, il y a de l’empathie, qui existe chez beaucoup d’animaux. Il est peut-être vrai que la morale, telle qu’elle existe chez l’homme, ne sera jamais trouvée chez un autre animal, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas certains éléments ailleurs.
Les différences sont moins absolues que les gens ne le croient.
Les religions occidentales sont nées dans le désert. Dans le désert, à quel animal l’être humain peut-il se comparer ? Au chameau ? L’homme et le chameau sont de toute évidence très différents.
Il est donc très facile de soutenir que nous sommes complètement différents des animaux, que nous ne sommes pas des animaux, que nous avons une âme et que les animaux n’en ont pas.
Quand on lit le folklore de nos sociétés, les fables de La Fontaine par exemple, on y rencontre des renards, des corbeaux, des cigognes, des lapins… mais pas de singes. Alors que les folklores asiatiques sont pleins de gibbons, de macaques… En Inde, en Chine, au Japon, il y a toutes sortes de singes. Le développement des civilisations s’y est fait en compagnie des primates, c’est à cette sorte d’animaux que les Asiatiques se comparent. Du coup, la ligne de séparation n’est jamais très nette."