En Octobre 2008, l’actrice Lily Cole posait pour l’édition française de Playboy dans un shoot mêlant innocence et sensualité, prompt à déclencher polémiques et questionnements. A l’heure ou la production pornographique regorge de sous-genres mettant en scène de fausses adolescentes (18+), tendance dont des ouvrages sociologiques se font l’écho, la sexualisation de la jeunesse devient un sujet de comptoir entre parents inquiets. Avec, en filigrane, toujours la même peur : celle du prédateur isolé craquant son slip sur la petite voisine sexy, qui l’emmènera un soir dans un petit voyage en forêt. L’argument est facile : à force de s’érotiser, il ne faut pas s’étonner d’être violées. Il est tout aussi facile de balayer la responsabilité individuelle, comme si la frustration sexuelle était une pression insupportable. Difficile, certainement, mais de là à contraindre quelqu’un, il y a un monde. De plus, à titre personnel, je ne suis pas persuadé qu’un violeur pédophile ait réellement besoin que sa proie s’habille légèrement. Selon moi, le scandale autour de ces images vient surtout d’une attitude conservatrice.
Certes, la nouvelle obsession du porno pour les teens est une récupération de la libération sexuelle et de la reconnaissance des institutions pour la sexualité adolescente, qui se fait par la promotion de la contraception dans les établissements scolaires. Comme n’importe quelle entreprise capitaliste, l’industrie du sexe saute sur un nouveau marché dès que la loi permet de l’ouvrir, comme Quick sautant sur le marché halal, sûr d’y trouver un bénéfice. Mais, c’est aussi une liberté nouvelle qui est offerte a la femme et a la jeune fille, liberté de disposer de son corps comme elle le souhaite sans avoir à en répondre aux hommes. Lily Cole le dit elle-même dans son interview : La possibilité qu’a la femme aujourd’hui d’exhiber son corps est une liberté qu’elle n’a pas eu de tout temps ni dans tous les pays. Après des siècles de morale religieuse, cette liberté récente trouve encore ses opposants dans les générations précédentes. Il faudra s’y faire : en France, la majorité est à 18 ans, est à cet âge, on a le droit de poser à poil et de tourner des scènes de sexe explicites. Certains milieux aimeraient bien ignorer que les jeunes ont des besoins sexuels. Renvoyons-les donc au moyen-âge…
Et concernant la vague teen ? A qui sont destinées ces images, à des vieux pervers, à des gens du même âge, ou les deux ? J’en avais parlé dans mon article sur le groupe t.A.T.u., dont l’histoire est très intéressante à lire: une opposante au groupe avançait que seuls les hommes murs frustrés pouvaient s’intéresser à elles. Faux, bien sûr : mon témoignage en est la preuve, et mêmes des filles de mon âge disaient la même chose. De plus, comme je le disais, interdire est toujours présumer que le public est trop bête pour comprendre. De par mes intérêts, j’ai retrouvé plusieurs fois ce débat : pour les jeux vidéo violents, la musique metal, les films d’horreur, les loli manga (même si je n’en lis pas)… Sur des millions d’amateurs, combien commettent des actes irréparables plus ou moins en rapport avec ces oeuvres ? Combien deviendront teenophiles après avoir vu Lolita de Kubrick ? Ou après avoir acheté le Playboy N°94 ? L’homme est toujours sujet à des fantasmes divers, positifs ou négatifs, de sexe, de haine, de désespoir, de violence. La possibilité de faire avec dépendra de la raison et de la résistance de chacun. Cependant, la connaissance de soi, des autres, et, pour les parents, l’éducation de leurs enfants et l’attention à ce qui rentre dans la maison sont des éléments importants pour conserver un comportement rationnel. De plus, les gens sont libres de fantasmer sur la lolita, la maid, le marin, le policier… Il n’y aurait pas matière à se vanter pour une société se mettant en tête de décider ce qui est moral et immoral…
Laissons donc les ados s’aimer et être aimés, si l’on sait qu’ils évoluent dans un univers qui instrumentalise le glamour et la sexualité, appelant chaque jour à être sexy et désirable. Plutôt qu’une attitude rétrograde et conservatrice, c’est d’une vigileance accrue dont on a besoin, pour voir que dans une société de consommation, certaines personnes ont intérêt à exacerber le désir pour vendre certains vêtements et certaines musiques. La sexualité et l’érotisme sont de belles choses qui, simplement, n’ont pas besoin du capitalisme pour exister, car celui-ci modèle le désir au lieu de le laisser naître naturellement. Il n’y a pas d’obligation à être sexy, comme il n’y a pas de mal à l’être, même s’il est évident que la perturbation des âges d’éveil est un sujet à discuter. Plutôt que d’empêcher les gens de fantasmer et de s’exposer comme ils le souhaitent, donnons aux jeunes les armes pour comprendre et se confronter aux choses du monde pour qu’ils fassent leur propre chemin. Ce que je dis n’est pas contradictoire : la présence des parents aux premières années de la vie permet d’affirmer ensuite sa liberté d’agir et de penser une fois adulte. Et cette liberté passe par l’intelligence, par exemple celle de ne pas importuner les filles de 13 ans parce qu’on ne se sent plus, celle de comprendre les possibilités infinies du fantasme, du jeu, qui pimente la vie intime et permet d’exprimer ce qui reste au fond de nous.
N’en voulons pas non plus au modèle : avec son visage d’une autre planète, Lily Cole est surnommée doll-face par la presse, et à juste titre. Son côté juvénile, contrebalancé par un corps à se damner, qui lui a ouvert les portes du dernier calendrier Pirelli, la destinait un jour ou l’autre à poster avec un gros nounours, une sucette à la bouche. So what ? On sait que le charme peut être un moyen de choquer : en fliquettes ou militaires, elles seront accusées de déshonorer la fonction, et en lolita, d’érotiser dangeureusement les jeunes filles. Voilà qui évite de se demander pourquoi certaines filles et garçons sont attirées par des hommes et des femmes qui pourraient être leurs parents, et réciproquement. Il y a parfois de quoi se dire qu’un vent de morale souffle sur le monde, et peut-être que les excès du capitalisme, industrie du porno en tête, ont une part de responsabilité. Cependant, ce n’est pas une raison pour restreindre notre liberté à faire ce que nous voulons et à fantasmer sur ce que nous voulons. Censurez la création, et elle trouvera toujours des moyens détournés ; ils seront parfois plus créatifs, et souvent plus durs… Pour finir, même si Playboy, malgré son côté provocateur, est aussi un allié assumé du monde de l’argent, je ne peux qu’apprécier ce genre de créations qui titillent les plus puritains. Au risque, pour l’avoir déclaré, d’être regardé du coin de l’oeil.