Au nom du groupe d'opposition à la majorité locale, un conseiller municipal rédigea un tract accusant cette majorité et en particulier le maire de la commune (Clohars-Carnoët, Finistère) de divers agissement frauduleux dans la gestion municipale. Consécutivement à la plainte de ce dernier, ledit conseiller municipal fut condamné par les juridictions internes à 4 000 euros d'amende et 2 000 euros de dommages-intérêts pour " diffamation à l'égard d'un citoyen chargé d'un service public ou d'un mandat public ".
Saisie d'une requête alléguant d'une violation de la liberté d'expression (Art. 10), la Cour européenne des droits de l'homme concentre, assez classiquement, l'essentiel de son examen sur la question de la nécessité de l'ingérence litigieuse dans " une société démocratique ". Or, à ce stade, elle relève d'abord que le statut des protagonistes inclinait vers une protection conséquente de la liberté d'expression. En effet, " les propos litigieux visaient le maire de la commune, qui était assurément une personnalité politique et médiatique " et pour qui " les limites de la critique admissible sont plus larges " en cette qualité (§ 43). Quant à l'auteur des propos, il bénéficie d'une liberté d'expression en tant que " membre de l'opposition " (§ 44) car " le fait qu'un adversaire des idées et positions officielles doit pouvoir trouver sa place dans l'arène politique inclut nécessairement de pouvoir discuter des actions menées par des responsables dans le cadre de l'exercice de leurs mandats publics " (§ 45).
Cependant, l'objet et le contexte de l'expression litigieuse contrebalancent cet a priori favorable. Car s'il est rappelé que " la gestion d'une municipalité est incontestablement un sujet d'intérêt général pour la collectivité, sur lequel le requérant avait le droit de communiquer des informations au public " (§ 42 - V. récemment Cour EDH, 4e Sect. 2 février 2010, Kubaszewski c. Pologne, Req. no 571/04 - Actualités Droits-Libertés du 3 février 2010 et CPDH 5 février 2010), les juges européens estiment ici que les " propos [de l'espèce] ne s'inscrivaient pas dans le contexte d'un débat public sur la gestion de la commune, et le maire n'a pas fait l'objet de poursuites judiciaires à ce sujet " (§ 47). Tant l'absence de preuve des faits imputés à la majorité municipale (§ 49) que l'" extrême gravité [des accusations portées à l'encontre du] maire mis en cause,accusé notamment d'avoir détourné de l'argent et de n'avoir pas respecté les règles d'attribution des marchés publics, et auraient entraîné des poursuites pénales à son encontre si elles avaient été véridiques" (§ 50) conduisent la Cour a juger que le requérant a été au-delà de la " certaine dose d'exagération, voire de provocation " (§ 45) qui peut lui être reconnue dans le cadre d'un discours politique. D'ailleurs, son statut d'élu vient au contraire et, in fine, conforter la gravité des propos qui " pouvaient apparaître d'autant plus crédibles au public qu'ils émanaient d'un membre du conseil municipal, censé être bien informé sur la gestion de la commune " (§ 50).
En conséquence, et malgré le caractère " relativement important[...] " de la condamnation infligée au requérant (§ 52), le grief est rejeté et aucune violation de l'article 10 n'est imputée à la France.
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Actualités droits-libertés du 11 mai 2010 par Nicolas Hervieu
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