Etat chronique de poésie 887

Publié le 13 mai 2010 par Xavierlaine081

887

La poésie de ce temps a un problème narcissique, alors elle s’énerve.

Elle a du mal à comprendre sa déchéance sur l’autel des valeurs sûrs de la société libérale qui se venge.

Car elle a eu la frousse de sa vie, elle, dans le côtoiement des dernières grandes gueules, grandes figures dont l’héroïsme politique fut d’avoir rompu la glace des bluettes faciles et d’un académisme de bon aloi.

Alors la poésie pleure sur son sort d’infortune quand elle devrait être fière de son sort.

Ceux-là avaient acquis du panache dans la contestation débridée d’une société bourgeoise qui se préparait à ferrailler avec les ennemis de tous bords, ceux surtout qui menaçaient ses portefeuilles boursiers.

Ils furent dès la première heure de tous les combats aux côtés des plus faibles, de ceux qui ne trouvaient mots devant l’infamie de la dénonciation, collaboratrice, meurtrière.

Non que tous furent de ce bord, mais l’aura de ceux-là retombait sur toute la littérature poétique, et pour longtemps.

Ceux qui vinrent après pensèrent pouvoir récolter les marrons.

Or, la société bourgeoise, par essence, n’aime pas ce qui lui fait peur, et a la rancune tenace.

Ce qu’elle ne put empêcher hier : ces poèmes récités sur des bancs d’école, la stature d’un homme au chapeau blanc longuement applaudie en meeting où se côtoyaient les porteurs d’espérance ; cette célébrité achetée au prix du sang et de la déportation d’une partie du groupe, la société bourgeoise ne l’a pas digérée.

Il lui fallait la peau de la poésie en la remisant au placard de la confidentialité.

Il lui faut encore extirper de l’esprit de toute une jeunesse le ferment d’espérance que ses mots brûlants portent.

Il lui faut museler cette forme de littérature qui se moque des camps, des grilles, des barbelés et des miradors, qui s’évade dans des fumées âcres, rompant le silence, et fait sauter les couvercles savamment ajustés sur la mémoire.

Alors la poésie nouvelle lorgne sur le succès de ces auteurs en vogue qui pérorent dans les allées d’un salon du livre, devant les caméras complaisante.

Et elle enrage.

Ne trouvant aucun adversaire à qui faire mordre la poussière, elle s’insurge contre elle-même dans un formidable acte suicidaire.

La poésie n’est morte que pour ceux, eux-mêmes poètes, qui en sont les fossoyeurs.

Elle ne meurt qu’à l’intime condition de ne plus être à sa place : hors des livres édités à grands frais, dans la bouche des sans papiers, des sans logis, des mal payés, des méprisés, des sacrifiés.

Là est sa place de fierté. Que le siècle rutilant et couvert de paillettes ne dirige pas l’œil de ses caméras sordides sur ces lieux de perdition où elle trouve encore à s’exprimer n’est qu’hommage du vice à la vertu.

L’histoire seule saura dire ce qui en restera dans les mémoires et qui auront été les porteurs du flambeau des grands anciens, en un temps qui se vautre dans la pacotille.

Manosque, 31 mars 2010

©CopyrightDepot.co 00045567