A la question "Pourquoi avoir publié une liste de 30 noms ?" Paul Le Guen a répondu : "j’ai tenu compte de la culture au Cameroun, c’est-à-dire que j’ai écouté, j’ai demandé quelles étaient leurs attentes, je me suis fait mon opinion." Mieux vaut entendre cela que d'être sourd ! Voilà donc notre sélectionneur national qui se mue en ambassadeur de la culture au Cameroun.
De quelle culture s'agit-il d'ailleurs ? Celle du coton, celle de la canne à sucre ou celle du manioc ? Car vous remarquerez qu'il n'a pas dit "culture camerounaise", ni même "culture du Cameroun", mais "culture au Cameroun." J'imagine bien notre Breton préféré en tenue complète d'ingénieur agronome, supervisant la culture de plants d'ignames sur les Hauts-Plateaux de l'Ouest. De toute façon, si ces damnés tubercules lui semblent trop compliqués à faire pousser, il n'aura que l'embarras du choix : nous pratiquons chez nous la caféiculture, la cacaoculture, et même la riziculture. Si d'aventure toutes ces plantes s'obstinaient à lui résister, il pourra se tourner vers la pisciculture : il semble que les tilapias et les silures de nos étangs aient besoin de muscler leur jeu de nageoires ; or, qui de mieux qu'un Breton peut reprendre en mains ces bestioles aquatiques ?
Comme je connais l'étendue du talent de monsieur Le Guen ainsi que son envie d'agir pour la culture au Cameroun, je suis heureux de lui apprendre qu'il pourra aussi se consacrer à la puériculture, à la sylviculture et même aux bouillons de culture qui pullulent dans nos laboratoires et hôpitaux. Si cela ne suffit toujours pas à remplir ses journées, on pourra l'occuper par quelques cours sur la polyculture, la monoculture et la culture itinérante sur brûlis.
Des plants d'igname. Avantage : ils arborent déjà le maillot vert
Je fais exprès de ne pas parler de l'autre culture, celle qui concerne notre patrimoine culturel. En effet, associer l'énoncé "j’ai écouté, j’ai demandé quelles étaient leurs attentes, je me suis fait mon opinion" à la seule culture camerounaise relève de ce que les anglo-saxons nomment le "non-sens". Soit Paul Le Guen s'inscrit au concours annuel du meilleur truisme, soit il ne dit pas ce qu'il veut dire. Dans les deux cas, il nous prend pour des pigeons.
Si le propos du sélectionneur national est de nous apprendre qu'il a consulté avant de décider, alors je ne vois pas le rapport entre ce banal processus et la "culture" camerounaise. De toute façon, on sait que la FIFA, avec la délicatesse qu'on lui connaît, avait laissé à chaque fédération la possibilité d'envoyer une liste de 23 à 30 noms. Or, je ne sache pas que la FIFA soit une instance camerounaise.
En réalité, cette petite saillie n'est que la petite pointe émergée de ce bon vieil eurocentrisme qui apparaît très vite dès que Paul Le Guen (il n'est pas le seul) doit parler avec ses compatriotes de la petite mission bénévole qu'il effectue sous notre soleil. "Vous savez, ces gens-là, dans leur culture, il faut écouter tout le monde avant de décider. La palabre africaine, voyez-vous ? Oui, oui, c'est particulier, n'est-ce pas ? Mais c'est leur culture, et il ne faut surtout pas les bousculer avec notre cartésianisme, ça ne leur ferait que du mal, etc."
Dans le cas d'espèce, il s'agit de maquiller la réalité et d'envoyer un message subliminal : il y a eu des interventions. Je le dis d'autant qu'il s'agit d'un fait public et avéré : certains journalistes n'ont pas arrêté de prétendre en pleine conférence de presse que le "peuple" réclamait certains joueurs. Il s'agissait évidemment d'une honteuse manipulation dont Paul Le Guen n'était pas dupe, mais il y avait derrière ces gesticulations maladroites de vrais réseaux, puissants, organisés et bien introduits, qui ont fait comprendre au Breton que "le Cameroun, c'est le Cameroun."
Voilà toute la "culture" dont il parle. Il ne faut pas chercher plus loin.
Décidément, chassez le culturel, il revient au galop.