Metz

Publié le 12 mai 2010 par Marc Lenot

Vous pouvez lire partout ces jours ci des péans à la gloire de la politique culturelle décentralisatrice du Centre Pompidou et des éloges sans fins sur l’architecture de Shigeru Ban et Jean de Gastines. Non que je sois en désaccord avec cette avalanche médiatique, mais souffrez que j’attende quelques jours pour écrire, et plutôt d’ailleurs sur l’exposition ‘Chefs d’oeuvre ?’. D’ici là, voici deux mots sur mon escapade lors de ma visite à Metz, en lieu et place de déjeuner.

En entrant dans le FRAC Lorraine, dans la vieille ville, on craint de glisser : le sol de la cour est mordoré, comme huileux, glissant peut-être. Cette installation (sans titre) de Susanna Fritscher, qui a enduit les pavés d’une couche de silicone, d’une couche d’illusion, est la première à nous déstabiliser, à nous mettre dans un état de flou, d’incertitude qui va continuer dans toute l’exposition ‘À l’ombre d’un doute’ (jusqu’au 29 août). Nous rencontrons ensuite des vitres couvertes de poussière (Pols, Ignasi Abbali), ni hygiéniques, ni transparentes, puis un plancher défoncé (Plastered, Monica Bonvicini) que les visiteurs détruisent davantage à chaque pas. On est loin du ‘charme discret de la monstration’, on est loin des beaux alignements muséaux où on vient de passer quelques heures. Dans une autre salle, on ne voit rien, absolument rien, noyé dans un brouillard épais (MUHKA Anvers, Ann Veronica Janssens), sans repères, tatonnant à l’aveuglette, inquiet et désorienté : n’est-ce pas là une réaction commune face à l’art contemporain ? Il y a aussi des peintures odorantes (Peinture placebo©, Decoster & Rahm) ou à peine visibles (Wandstück, Karin Sander).

Et quand des choses sont visibles, elles ont à faire avec la vision car elles questionnent la manière dont nous voyons et dont nous sommes vus, ainsi les installations de vidéosurveillance de Dora Garcia (Proxy/Coma où une interprète, nommée Proxy, est filmée dans une salle cependant qu’une vidéo d’elle, filmée au même lieu mais à un autre moment, est diffusée dans une autre salle; et Forever, où c’est le visiteur qui est filmé, cependant que Dora Garcia, de chez elle, nous regarde, l’anti Boltanski en somme). Que sommes-nous prêts à accepter ? Comme Francis Alÿs l’avait fait à Londres, le groupe arterroriste a répertorié les caméras de surveillance de Metz; à nous d’établir notre itinéraire.

Dans cet ensemble discret, furtif, décontenançant, on peut trouver emblématique l’image de l’affiche, Pissing de Knut Åsdam (ci-dessus; j’en ai récemment découvert un équivalent féminin -photos 7&8), mais j’aurais préféré comme emblème une image de la vidéo One second of silence (Part 01, New York, 2008) d’Edith Dekyndt : un drapeau transparent flottant au vent sur un ciel nuageux. Quel territoire marque-t-il, quelle souveraineté, sinon celle du rêve ? Nul chef d’oeuvre ici : cette exposition fut un excellent antidote postprandial à la richesse démonstrative du Centre Pompidou Metz.

Pour compléter la cure, il suffisait ensuite de traverser la rue : dans l’église désacralisée des Trinitaires (où je me souviens d’avoir découvert Céleste il y a dix ans), la galerie messine Octave Cowbell présente (jusqu’au 29 mai) une installation Les durées exposées de l’artiste conceptuel Vincent Delmas, qui est toute de simplicité et de dépouillement. A une heure donnée (il y aura, au total, 77 moments), l’église est ouverte, pour une durée allant de 1 à 77 minutes et vous êtes simplement invité à observer le temps qui s’écoule, face à un écran-horloge marquant la durée. On peut méditer, prier, bailler, rester une minute ou tout le temps prévu. L’exposition est l’oeuvre, et l’oeuvre est l’exposition. C’est tout, et c’est une très belle expérience.

Photos 1 et 3 courtoisie du FRAC; photo 4 de l’auteur. Knut Asdam étant représenté par l’ADAGP, la photographie de sa pièce sera retirée à la fin de l’exposition.