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LE NUAGE (Nouvelle).

Par Ananda

C’étaient d’énormes nuages boursouflés, qui arboraient la forme de cerveaux  humains et qui affichaient une blancheur malsaine…comment dire ? Une blancheur métallisée de neige carbonique. Ils étaient si épais qu’ils paraissaient presque solides, même vus de loin.

Nous nous massâmes derrière la rambarde : là, vue sur toute la vallée.

Et ces nuages qui roulaient au sol comme de monstrueuses chenilles, comme de titanesques reines de termitière au corps bardé de renflements !

 Aussi singulier que ça puisse paraître, ils formaient une sorte de chaîne : ils semblaient attachés les uns aux autres à l’instar de wagons de train. Ils semblaient également se déplacer en rond, former un cercle, ou plus exactement un ovale. Comme s’ils avançaient sur des rails. Instantanément, ils me firent songer à un circuit de train électrique.

Je le fis remarquer à mon entourage, où mon voisin immédiat, juste sur la gauche, réagit derechef en se mettant quasiment à m’aboyer à la figure :

- Détrompes-toi ! Il ne s’agit en aucun cas de train électrique. Ces affreux nuages sont, en fait, des mélanges de gouttes d’eau et de boue ! Ils n’ont qu’une seule idée : passer, dévaster tout sur leur passage. Dans pas longtemps, nous entrerons en contact avec leur effervescence.

Humez ! Ne sentez-vous pas déjà, le fumet nauséabond qu’ils dégagent ?

Et c’était vrai : de la vallée montait une odeur de plus en plus marquée ; une odeur tout à la fois de vieux caoutchouc brûlé et de pestilence.

-Vous voulez dire que ce sont LES NUAGES, qui dégagent cette odeur ?

-Je veux ! Ces nuages-là, ils avalent tout ce qu’ils rencontrent sur leur route. Une fois qu’ils sont formés, ils avancent inexorablement. Et ils grossissent au fur et à mesure qu’ils se nourrisseur de ce qu’ils trouvent. Se retrouver dans leur ligne de mire serait proprement désastreux ! N’empêche…ne vous inquiétez pas pour cela…ça nous pend au nez !

Encore incrédule, discrètement haletante, je plongeai à nouveau mon regard en contrebas. Il se dégageait  maintenant des nuages aux corps ramassés, musculeux une impression de force colossale. On sentait, en chacun d’eux, la volonté de tout avaler.

Et, certes, oui, ils progressaient, ils accéléraient leur allure !

Nous finissons par nous retrouver à l’intérieur d’un des nuages. Cela sent l’égout, la vase remuée ; ça bouge à la manière d’un blanc d’œuf que l’on battrait en neige. Cela nous remue comme une machine à laver remue son paquet de linge sale. Nous sommes désormais emprisonnés dans cette masse en mouvement. Elle pue, certes, mais elle est également soyeuse, crémeuse…N’était l’odeur vaseuse, immonde, on serait tenté d’en manger, on mordrait dans cette matière un peu comme l’on mord dans de la barbe à papa.

Le voisin dont j’ai déjà parlé plus haut se trouvait toujours avec moi, et il me hurla :

-Il faut qu’on sorte…sans quoi il va nous digérer !

Son visage était affolé, crispé, torturé par l’angoisse. Au point d’en être devenu un masque de tragédie grecque.

Pour ma part, je sentais toute cette violence, qui cherchait à nous broyer. Nous tourbillonnions, quelquefois entrechoqués les uns contre les autres. C’était insupportable, d’être secoué, malaxé ainsi. Cependant, quel moyen avions-nous de nous en sortir ? Qui le savait ?

Nous étions la proie d’une force aveugle, tumultueuse et incontournable.

Tandis que nous dégueulions tripes et boyaux à qui mieux mieux, nous nous sentions, de surcroît, heurtés subitement contre des surfaces dures, rugueuses.

 On nous ballottait à présent sans ménagement de l’une à l’autre. Notre hébétude et notre manque de visibilité ne nous permirent pas de nous rendre compte que la masse du nuage venait de s’engager dans une venelle étroite et resserrée, où il continuait à foncer , au mépris des murs, qui, cependant, étant beaucoup plus durs que lui, lui arrachaient , sous l’effet du frottement, des lambeaux de peau entiers. Bientôt, à ce compte-là, la substance du nuage se trouva transpercée d’un nombre suffisant d’accrocs pour qu’il se dégonfle, tel une vieille baudruche.

Peu à peu, il se muait en un déferlement d’eau torrentiel. Haletants, hoquetants, nous nous retrouvâmes dans l’élément liquide. A mesure que le nuage se dissipait, se dissolvait, la sensation d’oppression s’atténuait : nous retrouvions l’air. Nous étions désormais emportés par un flux fluide et très rapide.

Instinctivement, nos mains, nos doigts trouvèrent la présence d’esprit de s’agripper à tout ce qui pouvait se présenter à eux de solide. La masse d’eau fuyait, se dégorgeait et, du nuage, il ne restait plus rien. Pantelante et trempée, dégoulinante d’une affreuse vase noire, je me trouvais accrochée à l’angle d’un mur constitué de rondins. Tournant la tête du côté du fond de la rue, je vis le ciel. Il était d’une translucidité bleuâtre qui m’enchanta.

Patricia Laranco.


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