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Peut-on vraiment faire confiance à un festival qui s'ouvrirait sur un discours de Jack Lang en allemand dans le texte devant un parterre d'huiles ébahies? Les theatertreffen, ou tt pour les initiés, ont débuté vendredi soir. Le rendez-vous allemand de l'année, l'institution, un peu leur Avignon à eux, à la différence que les tt privilégient les productions germanophones. On s'y repait pendant presque quinze jours d'un pot pourri des dix meilleures pièces de l'année choisies par un jury de critiques et de personnalités du théâtre parmi les 400 productions annuelles. Seul ovni cette année dans ce nec plus ultra du deutsches Theater, le Nature Theater of Oklaoma et ses new yorkais frappés avec leur dernière création Life and Times, en ricain dans le texte, MAIS créée à Vienne donc parmie le top ten de l'année allemande. Voilà pour le vent frais. Et puis quand même Marthaler vient jouer "Riesenbutzbach" dans les hangars de Tempelhof. Et puis aussi le stückemarkt dédié à la jeune création européene. Pour le reste on verra donc des classiques venus d'Hambourg, Vienne, Köln, d'Andreas Kriegenburg à Luk Perceval. Le cœur du festival c'est toujours la un peu snob Haus der Berliner Festspiele qui pour l'occasion a quand même revu la déco du bar et disposé quelques gravillons et caillebotis pour faire plus "cool". Dans ce magnifique bloc de verre posé sous les arbres, mieux vaut être accompagné, de préférence bien habillé, ou du moins avec un style qui se fasse remarquer. Commander un verre de sekt au bar, aller le siroter en fumant une clope devant le brasero so chic du jardin, dire bonjour à ses connaissances, avoir l'air à l'aise, chez soi. Mais la sonnerie retentit. Ah oui, c'est vrai, ce soir c'est théâtre.
. ELe si bourgeois festival a choisi une pièce populaire (volksstück), et qui parle de crise économique et de chaos en plus, pour son ouverture. Les tt convoquent la crise des années 30, Munich et son Oktoberfest avec la pièce de l'auteur hongrois de langue allemande Ödön von Horvath, "Kasimir und Karoline". Pas tout à fait dans la même version que celle montrée - et pas mal huée- l'été dernier à Avignon mais presque. Décor, musique et mise en scène identiques. Mais le texte a changé, revenu à l'allemand d'origine, les acteurs aussi. Après leur petit flop de la cour d'honneur Johan Simons et Paul Koek ont re-monté la pièce avec la troupe du Schauspiel Köln. Samedi soir le public berlinois n'a rien sifflé - ce n'est pas vraiment dans ses habitudes - mais les applaudissements mous suintaient l'ennui au mieux. Pourtant comme une injonction impérieuse ENJOY brillait en lettres scintillantes géantes sur le décor-échafaudage. Structure massive qui porte notre regard aussi haut que la grand roue de la fête où vont et viennent Kasimir et Caroline, amants malheureux, séparés par la vie et les flots de la foule, emportés par la crise économique, incapables d’échapper aux destinées de leur condition, acteurs passifs, dépassés par le cours du monde et de leur propre vie. Et ce décor sur quatre étages nous rappelle aussi que le drame se joue verticalement, par strates sociales hiérarchisées. Kasimir (Markus John) était chauffeur, il vient de se faire licencier. Karoline (Angela Richter) se contente d’être employée, mais a d'autres rêves, d'un monde d'argent et de sécurité auquel elle ne peut renoncer. A moins que quelques bières ne l’emmènent sur d’autres chemins plus légers. Cette Karoline là a une pointe de naïveté, certes elle calcule, plaque son chômeur pour un petit tailleur, et ne résiste pas au grand bourgeois qui a flashé sur son cul mais elle voudrait rêver un peu plus loin, ne pas se laisser engluer par la poisse économique ambiante. Cette fable cruelle, balade amoureuse triste et nostalgique, ne parvient pas à sortir d’une mise à distance qui nous plaque loin d’eux ces personnages, loin de Kasimir - pourtant interprété avec force par Markus John - loin de Frank, et de ses femmes qui vendent leur corps pour quelques marks. Tous semblent perdussur cette scène démesurée, trop grande trop haute, petites vies minuscules sans affolées et sans direction automatique. Rien ne nous parvient de l’effervescence de la fête. Ces flonflons remplacés par une pop synthétisée de mauvais goût ne rendent pas l’ambiance plus populaire. Le drame de Kasimir et Karoline semble à mille lieux de nous, seule Erna - d’ailleurs largement la plus applaudie des comédiens - nous insuffle un brin d’humanité avec sa démarche empruntée sa vraie-fausse révolte étouffée, et nous assure un final plus intense. Ultimes soubresauts d'humanité dans une production à l'encéphalogramme désespérément plat.