Trois bonne raisons de parler aujourd'hui de Fuck Off America :
1. ça se joue ce soir à la Volksühne.
2. Ce blog lui doit bien ça, s'abritant depuis ses débuts derrière son nom et la façade provocatrice d'un OST theater, comme une trace nostalgique d'un esprit alternatif berlinois en perdition.
3. Il y a deux ans avec cette pièce je découvrais la Volksbühne, Frank Castorf, ravie de voir qu'on pouvait aller au théâtre sans comprendre un mot de la langue.
4. Au moment où la pièce sortait à Berlin, le magazine XXI se lançait. Dans son premier numéro l'écrivain Emmanuel Carrère traçait un portrait ciselé et littéraire d'Edouard Limonov, l'auteur de Fuck Off America. L'article est à lire ici.
Donc, pour la Volksbühne, même si récemment rénovée et toujours aussi désespérément désertée, et pour fêter un peu la renaissance printanière de Berlin sur Scène, j'ai fouillé dans mes notes de l'époque, griffonnées sur un cahier comme on faisait avant. Je vous les livre ici. 6 mars 2008. Totalement par hasard j'ai lu il y a deux jours le long et très bel article d'Emmanuel Carrère sur Edouard Limonov paru dans le 1er numéro de XXI. Hier encore j'ai ignorais totalement l'existence. Et voilà que ce soir je suis allée voir une pièce tirée de son roman et de son expérience de l'exil new yorkais (pour cause d'expulsion d'URSS au début des années 80). Limonov c'est un parcours de poète maudit, d'écrivain d'avant-garde lors de son exil parisien qui durera dix ans, de révolutionnaire rouge-brun. A son retour en Russie les choses se politisent, il fonde le parti national-bolchéviste, c'est gros bras, argent douteux, pas peur de la bagarre ni de la confrontation à Poutine. Ca finit quand même dans les geôles. Frank Castorf, patron de la Volksbühne, n'aime rien tant que de se frotter aux personnages à la marge, aux politiquement incorrects, aux personnages douteux et poisseux, aux rebuts de la société. Est-ce pour ça qu'il a préféré jeter Goethe aux oubliettes (il devait monter Faust et deux semaines avant les premières représentations fait parvenir à la presse un dossier de presse Fuck off Goethe et annonce son adaptation de Limonov) et s'attaquer à du méchant, braillard, nauséeux? ébauche, exil, frustration, sexe, premiesr écrits, poésie, vie sombre, du pain bénit pour le metteur en scène. C'est ma première fois avec Castorf, je m'attendais aux ris et au trash. Et je n'ai pas été déçue. Théâtre physique, on éructe, on se délecte des mots crus qu'on crache à la figure, pourquoi pas avec nourriture, on mime la fornication, on bouffe, on bafffre, on crache, on crie, on chante. Avec mes trois mots d'allemand je ne comprends rien mais la rage de Limonov passe, le désespoir de l'exil aussi. Le décor tourne encore. La première a eu lieu hier, et aujourd'hui la salle est à moitié vide. Mais les présents, des jeunes surtout, sont très présents. Applaudissements, rires, cris, manifestations d'enthousiasme, j'ai rarement vu un public aussi impliqué. Je suis contente d'être là au milieu d'eux, j'ai l'impression d'être invitée à une fête où je ne connais personne mais où les gens me sont a priori sympathiques. je me dis qu'il est réjouissant de voir ce genre de spectacles volontairement vulgaire, violent, de mauvais goût, sur l'une des scènes culte de Berlin. La bourgeoisie, on lui crache dessus, on se fout des salles pleines, même quand on s'appelle Castorf et qu'on a plus de soixante ans, on s'en fout des p'tits fours et des soirées de première m'as tu vu. On préfère faire hurler un public jeune dans une salle moitié vide.
Depuis mars 2008, je suis souvent revenue à la Volksbühne et n'ai jamais retrouvé cette folie de la première fois. Mais je ne suis jamais allée revoir Castorf. Pollnesh, Meg Stuart, Marthaler, Gotscheff surtout. La salle est souvent dépeuplée à part pour Dimiter Gotscheff. Dimanche soir j'y étais encore pour une création maison avec la chorégraphe Wanda Golonka. On devait être soixante, pas plus, la première avait eu lieu quelques jours auparavant. La Volksbühne a beau avoir ravalé sa façade on sent que les années Castorf - à sa tête depuis 1991 et pas décidé à partir malgré les vague de haine qu'il soulève dans la presse - l'ont marqué. Sur cette belle et large scène arrondie, dans les couloirs marbrés, derrière les vitres, l'heure est au désamour. Et pourtant il n'y a pas si longtemps on criait au génie.
"Dans les trois ans, réputé ou mort" voici la formule légendaire que trouvèrent quelques hommes de théâtre responsables de l'Est de l'Ouest en confiant la direction de la Volksbühne à Frank Castorf en 1991. Depuis 12 ans maintenant, le dernier révolutionnaire de théâtre que la RDA ait produit règne dans cette forteresse à la lisière du quartier artistique au centre de Berlin"... Il "est passé de l'excentrique outsider dont le travail était jugé scandaleus, à la position de maitre absolu de toutes les classes. il a fissuré le mur du jeu traditionnel psycho-réaliste qui était de règle sur les scènes allemandes jusqu'aux années 90. Tous ceux qui arrivèrent après lui ne pouvaient pas faire autrement que de s'orienter à partir de lui... le fait qu'un fils de gérant de quincaillerie devienne directeur de la Volksbühne fut le début d'une réorganisation du paysage théâtral berlinois". Nikolaus Merck dans Alternatives théâtrales.
Aujourd'hui je garde toujours une espèce d'affection pour ce grand bateau à la dérive.