A chaque fois, c’est un choc, une peine, une incompréhension. Quelle que soit la maničre d’évoquer un accident aérien, un sentiment de révolte refait surface. Pourquoi, comment, de tels événements peuvent-ils se produire, compte tenu de l’ampleur des mesures préventives et correctives qui sont prises, jour aprčs jour, dans le cadre d’efforts internationaux conduits sans relâche par des spécialistes au-dessus de tout soupçon ?
Tôt ou tard, on comprendra ce qui est arrivé au vol 771 d’Afriqiyah et, ŕ ce moment, une fois de plus, force sera de constater que la défaillance, technique ou humaine, sera passée de peu ŕ travers les mailles du filet. D’autant que la compagnie libyenne est dotée d’une flotte jeune et moderne, tout Airbus. Entre-temps, rumeurs, doutes, contre-vérités, auront fait leur chemin. On en revient alors ŕ un incontournable leitmotiv : un accident comme celui-ci, survenu ŕ l’atterrissage ŕ Tripoli, qui a fait 105 victimes, est durement ressenti en raison du nombre de vies envolées d’un coup. C’est la dure spécificité des transports aériens qui, évoquée sans mise en contexte, conduit ŕ des commentaires souvent absurdes.
D’oů l’intéręt de reprendre les statistiques ŕ tęte reposée. De nouveaux travaux nous y aident, ceux du Cabinet anglais Ascend qui, initialement, travaillait principalement pour le compte de compagnies d’assurances. Il vient de procéder ŕ de nouveaux calculs, de maničre simple et pragmatique, en allant ŕ l’essentiel. A partir du moment oů il est question des Ťgrosť avions (en pratique de plus de 100 places), autant limiter l’exégčse des statistiques aux appareils sortis des usines de quatre avionneurs seulement (dont deux ont maintenant disparu), Airbus, Boeing, Douglas et Lockheed.
Il est alors possible de confirmer d’un simple coup d’œil que la sécurité aérienne progresse avec une belle régularité. En vingt ans, le nombre d’accidents graves (des victimes et perte de l’avion) est resté stable alors que le nombre de vols a augmenté de 65%. Pourquoi se baser sur des vols, c’est-ŕ-dire des cycles, et non pas le nombre de passagers/kilomčtres ou celui des voyageurs ? Michel Guérard, directeur Ťproduct safety operationsť d’Airbus, répond qu’un vol de longue durée n’est pas exposé ŕ davantage de risques qu’un vol court.
Sur base de ces critčres, le nombre d’accidents, environ une douzaine par an, est tombé en deux décennies de 1,40 ŕ 0,75 par million de cycles. Chacun voudrait qu’il soit possible de tendre vers zéro, ce qui est malheureusement théorique. Ce qu’il est possible de vérifier en se penchant sur les causes majeures d’accidents. Paradoxalement, ce sont les collisions au sol qui sont devenues la premičre source d’accidents, en augmentation de 21% en 20 ans (52 cas relevés entre 2000 et 2009). Elles relčvent de Ťfacteurs humainsť, distraction des équipages, mauvaise compréhension des instructions qui leur sont données par les contrôleurs, etc. Les Ťrunway incursionsť, pour reprendre le jargon des spécialistes, sont devenues un sujet de sérieuse préoccupation et des travaux sont en cours pour mieux en comprendre les origines et tenter de les éradiquer.
La deuxičme cause principale est d’apparence moins inattendue, ŕ savoir l’erreur de trajectoire qui conduit, par exemple, ŕ heurter le flan d’une montagne. De tels accidents, qui relčvent toujours de causes multiples, ont bénéficié au fil des années d’études attentives et de mesures préventives qui ont donné de bons résultats. Leur nombre a en effet diminué de 47% en 20 ans.
L’entraînement constamment amélioré des pilotes, les leçons tirées des moindres incidents, l‘identification de problčmes, męmes mineurs, pouvant ętre précurseurs d’accidents, les échanges entre organisations officielles, industriels, compagnies et équipages, permettent des progrčs importants. Ils sont soutenus par des équipements permettant, par exemple, de déceler instantanément des conflits de trajectoires.
L’électronique permet par ailleurs d’éviter qu’un avion ne sorte intempestivement de son enveloppe de vol. ŤNous installons des protections mais il convient bien entendu de maintenir les pilotes dans la boucleť, note Fernando Alonso, directeur des vols d’Airbus.
Restent les problčmes sans solution, extręmement rares, c’est-ŕ-dire les enquętes qui n’aboutissent pas, faute d’informations suffisantes. Cela, principalement, si les enregistreurs de vol ne sont pas récupérés, ou le sont en trop mauvaise état pour livrer les informations qu’ils ont mémorisées. C’est le cas, pour l’instant, de l’accident du Rio-Paris d’Air France. Lŕ aussi, des études sont en cours pour envisager la transmission satellitaire en temps réel des données actuellement stockées par les enregistreurs. Ce serait un progrčs important, du point de vue des spécialistes et des enquęteurs, sans que la sécurité elle-męme en bénéficie directement.
L’accident de l’A330 d’Afriqiiyah relance le débat, sous toutes ses facettes. Un débat qui n’est évidemment pas prčs de se terminer.
Pierre Sparaco - AeroMorning