Vous
pouvez lire ici le début :
la
première partie : l'annonce
la
seconde
partie : l'encyclopédie médicale
la troisième partie : l'espoir
Internet a joué un autre rôle très important dans mon vécu des traitements et de la maladie. Il m'a servi de collaborateur.
En allant fréquemment sur le site des Impatientes, je me suis rendue compte que nous n'étions pas toutes traitées de la même façon. Cette différence pouvait venir de notre oncologue, de sa capacité à travailler en équipe, d'être à l'écoute, des protocoles propres à l'établissement qui nous suivait.
Pendant à peu près une année, j'ai eu herceptine toutes les semaines, à la clinique. Ma première perfusion a eu lieu le vendredi 5 mai 2006. A chaque fois, on m'administrait une prémédication pour aider le corps à supporter la toxicité de la chimio. Elle était composée de cortisone (solumedrol), d'un antihistaminique (polaramine), d'un anti-vomitif (primpéran), le tout sous forme injectable.
Au départ, toutes les trois semaines, j'ai eu ma série de 6 chimios lourdes, taxotère la terrible, en plus d'herceptine.
Au lieu de primpéran, j'avais un anti-vomitif beaucoup plus puissant, Zophren. A la fin de mes taxotère, mon oncologue et les infirmières avaient oublié de changer la prémédication et de me passer de zophren à primpéran. J'ai continué pendant plusieurs semaines avec zophren.
Tant que j'avais taxotère, je n'étais pas gênée particulièrement par mon état post-chimio. Lorsque je rentrais chez moi, le soir-même, je ne faisais quasiment rien et je n'avais aucune énergie mais je pouvais encore échanger, c'était plus une fatigue physique, une grande lassitude que je ressentais.
Lorsqu'ils m'ont passée à primpéran au lieu de zophren, j'ai mis un peu de temps à me rendre compte que je n'étais plus pareille à mon retour des chimios. J'étais anesthésiée.
J'en ai pris conscience et j'ai commencé à ne plus du tout supporter cet état. Dès qu'on m'injectait la prémédication, je sentais mes paupières lourdes, je devais batailler pour rester éveiller mais ce n'était pas de la fatigue, c'était vraiment comme si on m'anesthésiait contre mon gré. Je réagis toujours très fortement à tous les médicaments. C'est certainement bien pour herceptine mais ça l'est moins lorsque toutes les semaines, à mon retour des perfusions, je n'attendais qu'une seule chose, que mon mari prenne le relais et que j'aille dans mon lit sans manger. J'étais incapable de quoi que ce soit.
Lorsque vous savez que vous avez un an d'herceptine, vous pouvez le supporter, vous savez qu'il y a une fin. Lorsque c'est à vie comme moi, ça devient intolérable.
Image de Dina Goldstein
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J'ai commencé à me rendre malade psychologiquement rien qu'à l'idée qu'on allait me mettre dans cet état. Je ne pensais qu'à ça, j'en avais le ventre noué. J'en ai parlé à mon oncologue. Tous ses collègues donnaient cette prémédication dans cette clinique. Elle pensait que ce qui causait cette somnolence était l'antihistaminique, polaramine mais comme elle redoutait les chocs allergiques de mon herceptine, elle ne voulait pas l'arrêter. Je suis revenue plusieurs fois à la charge, elle a fini par accepter de me le diminuer de moitié. Ça ne changeait rien du tout, j'étais toujours aussi mal. Mes perfusions d'herceptine sont passées ensuite à une fréquence plus confortable, toutes les trois semaines. La dose d'herceptine a été multipliée par trois, mon oncologue m'a remis la dose entière de polaramine. Je vivais toujours aussi mal cet état. Elle estimait que ce n'était pas bien méchant, une journée toutes les trois semaines par rapport à ce que m'apportait la prémédication comme garantie. Je n'étais pas d'accord avec elle.
J'ai cherché sur internet, c'était tout simplement intolérable, je n'en pouvais plus.
J'ai échangé avec d'autres femmes ayant herceptine comme moi à vie et m'affirmant qu'elles n'avaient aucune prémédication.
J'ai annoncé cette information à mon oncologue qui évidemment ne me croyait pas ou plutôt pensait que ces femmes ne savaient pas exactement ce qu'elles recevaient. Elle m'a dit qu'elle allait appeler un autre oncologue pour lui demander son avis. Elle a appelé son mari qui travaillait dans une autre clinique. Hélas pour moi, cette clinique suivait le même protocole que la mienne.
Je n'allais pas lâcher le morceau, je ne voulais plus de cette prémédication.
J'ai lancé un avis de recherche sur le forum du site des Impatientes pour trouver une femme sous herceptine sans prémédication suivie par le centre Léon Bérard. Je sais que c'est la référence, elle n'allait pas pouvoir me le refuser...
J'ai eu une réponse, cette sœur d'arme m'a donné le nom de son oncologue.
J'attendais de revoir mon oncologue. En fait je la voyais toutes les trois semaines et auparavant, pendant un an, toutes les semaines, juste avant d'avoir ma perfusion. Vous comprenez pourquoi je la connais aussi bien et son collègue qui travaille avec elle en binôme aussi...
Cette fois, devant moi, pour me montrer sa bonne volonté et pour ne pas oublier de le faire, elle a appelé le centre Léon Bérard, elle connaît tous les oncologues de la place. Elle a demandé à parler à l'un de ses collègues et il a confirmé qu'ils avaient arrêté la prémédication pour les perfusions d'herceptine au long cours.
Elle m'a regardé toute souriante, ravie pour moi. Elle a décidé d'arrêter polaramine, persuadée que c'était ce médicament qui me faisait somnoler.
Je suis allée à ma perfusion le cœur léger, persuadée que j'allais enfin ressortir de là en grande forme. Raté, dès qu'on m'a injecté le reste de la prémédication, mes paupières sont tombées toutes seules. J'étais tellement déçue.
Je l'ai croisée en partant et je l'ai informée que ça n'avait pas marché.
Je suis retournée sur mon forum, d'autres femmes plus anciennes que moi, plus expérimentées que moi avec tous ces produits, m'ont dit que primpéran pouvait endormir. J'ai repris espoir, j'avais tellement de mal à accepter de me retrouver dans cet état, juste pour de la prémédication, ce n'était même pas la chimio qui me faisait cet effet.
Séance d'après, je suis remontée au front, mon oncologue a accepté très facilement de me supprimer primpéran, Ça lui posait moins de problèmes de conscience que l'antihistaminique. Vomir ou faire un choc allergique n'engageait pas sa responsabilité de la même manière...
C'était le 8 décembre 2008, fête des lumières à Lyon. Je n'oublierai jamais cette date. Je suis ressortie pour la première fois, depuis un an et demi, dans un état normal. Je n'étais pas en forme au point d'aller faire une séance de sport, il ne faut pas non plus exagérer, mais j'étais bien. J'étais tellement heureuse. Pour la première fois, je suis allée chercher mes filles à l'école après une perfusion. J'y ai croisé mes amies. Je suis même rentrée en faisant un détour dans la ville pour profiter des illuminations. J'y croyais à peine.
Ma détermination avait payé mais c'était surtout grâce à internet sans lequel j'aurais dû encore longtemps supporter cet état qui m'était insupportable. J'avais trouvé un collaborateur de choc.
Pour plus de photos de la Fête des Lumières de Lyon
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Internet m'a servi aussi en oncogénétique.
Comme je n'avais pas 35 ans au moment du diagnostic de mon cancer. Mon oncologue et ma gynéco m'ont fortement incitée à rencontrer un oncogénéticien au centre Léon Bérard. J'ai pris un rdv. Il a fallu que je fasse l'arbre généalogique des cancers de ma famille. C'était fastidieux mais je me suis rendue compte que dans la famille de ma grand-mère paternelle, alors qu'ils étaient 11 enfants, aucun n'avait eu un cancer. Je ne tiens pas de cette branche, c'est certain.
Une oncogénéticienne m'a reçue après examen de cette généalogie. Elle m'a demandé si j'acceptais qu'on me teste afin de savoir si mes gênes BRCA 1 et 2 étaient mutants. J'étais venue dans cette optique. Je n'avais plus grand chose à prévenir, j'étais servie. Je le faisais pour mes filles, ma sœur, mes tantes, mes cousines.
Si l'un de ces gênes était mutant, j'allais devoir me faire enlever les deux seins et les ovaires. On attendrait que mes filles soient majeures pour leur proposer de faire à leur tour ce test, pour savoir si je leur avais passé ce maudit gêne porteur de malheur. Si jamais la réponse était positive, qu'elles avaient le gêne mutant, même solution radicale, ablation des seins et des ovaires. Je trouvais que je leur faisais un cadeau formidable, se voir proposer à 18 ans, à l'aube de sa féminité, de se faire enlever les deux seins, c'était aux antipodes de ce dont on peut rêver pour ses filles.
J'ai eu ma prise de sang aussitôt. Il fallait mettre ensuite ce prélèvement en culture pendant 6 mois avant de connaitre les résultats mais comme la demande de tester ces gênes est très forte et peu de centres pour y répondre, l'attente serait plus longue, au moins un an.
Pendant notre entretien, l'oncogénéticienne a aussi évoqué un autre gêne mutant qui pourrait me concerner. le P53, appelé aussi sous le nom de Syndrome de Li Fraumeni. Elle m'a dit qu'on en parlerait plus longuement lorsqu'on se reverrait pour les résultats.
Évidemment, aussitôt rentrée chez moi, j'ai foncé sur mon ordinateur, et j'ai cherché ce qu'était ce fameux syndrome de Li Fraumeni. C'était l'horreur totale, bien pire que BRCA 1 ou 2. Lorsque notre gêne P53 a muté, notre corps n'est plus protégé des tumeurs cancéreuses. On peut développer n'importe quel cancer, n'importe où et plusieurs en même temps dans des organes différents. Aucune solution si ce n'était d'être sous très haute surveillance pour détecter la prochaine tumeur.
On pensait à ce syndrome lorsque des personnes parents de premier degré avait pour un homme développé un cancer au cerveau avant 60 ans et pour une femme un cancer du sein avant 40 ans. En plein dans le mille, mon père avec son glioblastome et moi mon cancer du sein, j'entrais bien dans le champ d'investigation. Et l'oncogénéticienne voulait attendre un an pour qu'on en reparle...
S'il fallait une année pour attendre les résultats, je ne saurais si j'avais ce P53 mutant que dans deux ans. Hors j'étais toujours avec un cancer du sein métastasé et je n'étais pas du tout certaine que mon espérance de vie soit aussi longue. J'ai repris contact avec l'oncogénéticienne. Elle a entendu mes angoisses. Je pensais avant tout à mes filles. Je voulais qu'on me teste tant que j'étais en vie pour qu'on sache pour elles en priant intérieurement que mon P53 soit sain.
Elle m'a expliqué que seul un laboratoire testait ce gêne en France, que la décision de me tester revenait à son directeur. Comme c'était très onéreux et que le budget n'était pas extensible, il ne retenait que les cas potentiellement à haut risque.
Elle a dicté une lettre pour ce professeur, envoyé toute ma généalogie et m'a promis de me contacter dès qu'elle aurait la réponse.
Elle ne s'est pas faite trop attendre. Il me semble qu'un ou deux mois après, je me retrouvais dans son bureau. J'étais bien à haut risque, il acceptait de tester mon P53. Je suis allée faire ma prise de sang et j'ai patienté quelques mois.
Elle a bien insisté sur le fait que si on me faisait ce test, la réponse pouvait être positive. J'en étais parfaitement consciente et étant donné toutes les catastrophes qui me tombaient sur la tête, j'avais compris qu'il n'y avait pas une justice, une balance. Ce n'est pas parce qu'on a eu son quota de mauvaises nouvelles, qu'elles doivent s'arrêter et que maintenant on ne va avoir que des super nouvelles. Ça ne fonctionne pas du tout comme ça. On peut être atteint de malchance et n'enchaîner que des mauvaises nouvelles sans que ça cesse, sans qu'on puisse souffler, sans avoir un peu de répit. On peut aussi vivre une vie préservée. Là j'étais plus concernée par le premier camp, celles qui attirent la poisse. Avoir un P53 mutant me semblait tout à fait possible mais je ne le souhaitais vraiment pas.
J'ai eu les réponses pour mon P53, trois mois après, aucune mutation. J'ai eu les réponses pour mes BRCA 1 et 2, un an et demi après, aucune mutation.
A l'heure actuelle des connaissances en génétique, je n'ai pas de gêne identifié comme étant responsable de mon cancer.
Pour développer un cancer, il faut que 6 de nos gênes aient muté sous les coups du cancer. Nous n'avons pas la même résistance. Tout le monde a des cellules devenant cancéreuses mais en temps normal, le corps fait son travail et les élimine. Le mien n'a pas été capable d'endiguer ce développement anarchique. Je dois bien être plus vulnérable que d'autres. Mon père aussi, sa grand-mère paternelle aussi, décédée autour de 40 ans d'un cancer. Nous devons présenter plus de faiblesse génétique que la moyenne. Je pense tout simplement que ces gênes ne sont pas encore recensés mais je suis persuadée que nous avons un facteur de prédilection au cancer dans ma famille paternelle. Je ne peux rien faire tester pour savoir si mes filles risquent d'être aussi moins résistantes. Je ne peux que doper leurs défenses immunitaires, leur faire mener la vie la plus saine possible et les mettre en garde. Nous évitons les rayonnements, le tabac. Ça n'évitera pas le cancer mais ce n'est pas la peine de lui donner de l'engrais et puis je ne peux pas rester à attendre.
Internet est un collaborateur précieux dans notre parcours du combattant.
J'ai pu faire supprimer la prémédication. Depuis, mon oncologue en a fait bénéficier toutes les femmes qui se plaignaient comme moi de somnolence. Toutes les infirmières me charriaient avec ça et me menaçaient que si je n'étais pas sage, elles allaient me faire une petite piqûre de primpéran. C'était bon enfant. Parce qu'évidemment j'amenais ma bonne humeur avec moi dans ce service et parfois je retrouvais quelques autres vétérantes comme moi des perfusions. Nous nous mettions dans un coin avec nos perfusions et nous riions de nos malheurs pendant tout le temps de notre présence. A quoi bon pleurer sur son sort, ça ne nous sauvera pas. En riant, le temps passe plus vite et c'est tellement plus sympathique. Ce n'était quand même pas tous les jours des parties de rire, parfois on rassurait celle qui angoissait à cause d'un bilan à venir, de douleurs nouvelles, de mauvais résultats, plus souvent nous ne faisions que nous croiser mais nous prenions toujours le temps de prendre un peu de nos nouvelles.
A chaque fois que j'avais affaire à une nouvelle infirmière, elle fonçait vers ses collègues pour être certaine qu'il n'y avait pas d'erreur et toutes les autres de rire et de dire que j'étais l'exception. Elles m'ont toutes demandé comment j'avais réussi à faire supprimer la prémédication. Ce service de chimio ambulatoire était assez important, nous étions bien 40 dans cette grande salle et les patients tournaient dans la journée. Sur une année, ça en fait des patients et j'étais la seule à m'être battue pour obtenir ce que j'estimais être mon droit.
J'apprécie d'autant plus mon oncologue d'avoir accepté de ne pas respecter ce protocole de chimio pour me traiter humainement. Elle a toute mon estime.
Grâce à mon collaborateur, internet, j'ai pu faire accélérer les tests génétiques et vivre moins longtemps avec l'angoisse d'être potentiellement porteuse d'une mutation sur le P53.
J'ai échangé avec d'autres femmes qui ont pu gagner des années de vie grâce à internet. Elles ont su que des nouveaux protocoles existaient, étaient testés dans d'autres centres et en ont parlé à leur oncologue qui a accepté de se mettre en relation avec leur homologue pour en faire bénéficier leurs patientes. Celby, notamment, a pu faire griller à deux reprises ses métastases cérébrales inopérables grâce au gamma knife. Elle a connu l'existence de ce super rayon par le net, il n'en existe que deux en France. Elle a dû faire des kilomètres pour en bénéficier mais à chaque fois, elle en ressortait débarrassée de ses métastases cérébrales.
Je n'arrêterai plus jamais de me servir d'Internet dans le cadre de mon cancer. C'est un merveilleux outil. Son rôle le plus important a été sans conteste de me mettre en relation avec des femmes formidables qui m'ont redonné espoir et fait grandir au milieu de cette tragédie.
A mon tour, de me servir d'internet pour rendre un peu de ce qu'on m'a donné, de l'espoir, de l'entraide, du réconfort, du partage.