Contrairement à celui des Folies-Bergères, l'escalier du Festival de Cannes ne se descend pas, il se monte. Une fois déposée par une voiture de luxe, dans l'enceinte des barrières, il ne reste plus à la star que d'en faire l'ascension à la fois radieuse, mystique, éblouissante. Cette cérémonie, équivalent cinématographique du triomphe romain ou de l'ascension de la Vierge, se renouvellera chaque soir pendant les dix jours des festivités. C'est le grand rite. La vedette est là, offerte aux regards admiratifs des photographes et de ses fans, à cet instant d'efficacité magique où elle est saisie dans le rayonnement de sa gloire entre l'écrin et le temple, la limousine et la salle obscure.
L'une des premières à l'avoir monté est Michèle Morgan qui, en 1946, venait présenter La symphonie pastorale de Jean Delannoy, puis Martine Carol, notre Caroline Chérie dont les épaules pulpeuses et la blondeur plaisaient tant à l'époque. En 1949, ce sera le tour de Rita Hayworth qui séduisit à la fois les Cannois et le prince Ali Khan qu'elle épousera à Saint-Paul-de-Vence. En 1953, alors qu'elle n'a que 19 ans, l'insolente beauté de Brigitte Bardot enflamme le Festival qui n'a d'yeux que pour elle. Amenée à Cannes par son époux d'alors, Roger Vadim, qui cherche des fonds pour son film Et Dieu créa la femme, BB incarne l'insouciance et la liberté. D'autres icônes vont marquer les années 50 : Gina Lollobrigida, Silvana Mangano, Rossana Podesta, Sophia Loren et Claudia Cardinale, superbes italiennes qui contribuèrent par leur présence, leur talent, leur beauté, à l'âge d'or du cinéma italien.
Le Festival des premières années a donc des airs de guerre en dentelle. On y livre des batailles, mais ce sont des batailles de fleurs avec défilés de chars auxquelles participent nos étoiles. Ou encore des batailles de luxe, de banquets, de bals et de réceptions. Le champagne et l'ouzo coulent à flot. On aperçoit Esther Williams, Romy Schneider accompagnant Alain Delon, Kim Novak venue avec Cary Grant présenter Notorious d'Hitchcock et Hitchkock lui-même accompagné de Tippi Hedren lors de la sortie en France des Oiseaux. En 1955, une bergère croise le chemin d'un prince. Grace Kelly, en pantalon corsaire, que l'on croit fiancée au comédien Jean-Pierre Aumont va rencontrer Rainier III qui l'invite à visiter son palais. Ils se marieront le printemps suivant. En 1958, Martine Carol, qui était présente naguère avec son premier mari, puis avec le second, s'annonce sans le troisième. Celui-ci déclarera par la suite : " Et dire que je venais de lui offrir une voiture ! "
En 1959, la belle Marpessa Dawn, vedette du film Orfeu Negro qui remportera la Palme, ensorcelle la Croisette, tandis qu'en 1960, Melina Mercouri et Anita Ekberg ne passeront inaperçues ni l'une, ni l'autre ; la première offre une fête grecque où l'on casse beaucoup d'assiettes, l'autre accompagne Fellini dont le film La dolce vita sera l'événement de l'année. En 1964, c'est au tour de Catherine Deneuve de faire sensation pour sa première apparition. Elle a un profil de médaille, une grâce juvénile et elle est timide. Bientôt elle s'imposera comme la grande dame du cinéma français. En 1966, Anouk Aimée est aux côtés de Claude Lelouch pour recevoir les lauriers d'Un homme et une femme et la Croisette chantonne chabadabada. Cette même année, les sifflets des critiques, lors de la projection de L'Avventura d'Antonioni, feront pleurer la belle Monica Vitti.
En 1978, la contestation gagne le cinéma. On y traite de la guerre du Vietnam, de la corruption, de l'avortement. Mais une toute jeune actrice recueille l'approbation générale : Isabelle Huppert, l'héroïne de Violette Nozière, rôle pour lequel elle obtiendra le prix d'interprétation féminine. Il y aura un remake en 2001 pour La pianiste.
En 1981, Isabelle Adjani, agée de 19 ans, reçoit le prix d'interprétation à la fois pour Quartet de James Ivory et Possession de Zulawski, tous deux en compétition. Un fait unique dans l'histoire du Festival. Elle est gracieuse, silencieuse mais inaccessible. Ainsi, fait-elle savoir, par son attachée de presse, qu'elle n'est à Cannes que pour l'émission télévisée d'Eve Ruggieri et qu'elle refuse d'être photographiée. Quand elle arrive au bas des marches du Palais, le silence est glacial. Les photographes ont posé leur matériel à terre et se croisent les bras. Par la suite, ils lui pardonneront et elle sera la présidente du jury de la 50e édition en 1997. Quant à Nastassja Kinski, dans une superbe robe de soirée, elle fera vaciller le coeur des festivaliers en 1984. En 1987, on verra Fanny Ardant aux côtés de Vittorio Gassman, présentant ensemble La Famille d'Ettore Scola, alors qu'en 1991, Madonna reçoit un accueil délirant de la part de ses fans, mais le film qu'elle est venue promouvoir In Bed With Madonna ne suscite pas le même enthousiasme.
En 1995, Cannes s'enflamme à nouveau à l'apparition de Sharon Stone, la vedette sulfureuse de Basic instinct qui, toute d'or vêtue, remet la Palme d'or à Emir Kusturica pour Underground. Elle est l'ambassadrice du cinéma américain comme l'ont été avant elle Olivia de Havilland, Elisabteh Taylor, Jane Fonda, Meryl Streep, Kim Basinger, qui ont marqué la mémoire des festivaliers et, comme l'ont été récemment, Demi Moore et Nicole Kidman.
Cette même année, Vanessa Paradis chante l'air de Jules et Jim en l'honneur de Jeanne Moreau, alors présidente du jury.
En 1999, Sophie Marceau a 39 ans et resplendit. Elle est l'une des actrices françaises les plus populaires. A elle revient l'honneur de remettre la Palme d'or aux frères Dardenne pour Rosetta. Une bretelle glisse et découvre un sein, les flashes crépitent.
Chaque année, nombreuses sont les actrices qui se plaisent à être regardées, interpellées, photographiées. Pour certaines, ce ne sera qu'un petit vent de gloire, pour d'autres la consécration. Mais toutes auront enflammé la Croisette et réalisé pendant un instant leur rêve... de Cendrillon.