L’Europe «est déterminée à ne pas se laisser impressionner » par une
« spéculation aussi immorale qu’absurde», nous dit François Baroin
!!!
Et encore, ces propos dans la bouche de Baroin sont soft par rapport à ceux
qui sont près à mettre les marchés, les spéculateurs et les agences de
notation, dans un même sac, bouclé à triple nœud, lesté de pierres et à les
balancer par-dessus bord.
Il va sans dire que cette présentation des évènements est à la fois
simpliste et en grande partie erronée, il va sans dire, mais compte tenu des
discours que l’on entend un peu partout sur le sujet, il ne parait pas inutile
de le dire quand même !
La spéculation fustigée par Baroin n’est ni absurde ni immorale mais tout à
fait cohérente et …amorale, nuance !
Revenons aux sources du problème.
Les Etats ont de plus en plus besoin d’argent.
Ils ont besoin d’argent non pas de manière ponctuelle pour faire face à une
conjoncture exceptionnelle, non pas pour financer un investissement destiné à
produire de la croissance future, non, ils ont besoin d’argent parce que de
manière structurelle, leurs recettes sont inférieures à leurs dépenses
!
Sauf à aller le voler à leur voisin (ce sont des choses qui ne se font plus
trop), et faute de vouloir rééquilibrer leurs budgets, les Etats sont donc
obligés d’emprunter continuellement de l’argent à ceux qui veulent bien leur en
prêter. Rappelons à ce propos que personne n’est obligé de prêter à qui que ce
soit, fut-ce à un Etat (sinon cela s'appelle l'impôt) !
Jusqu’à présent, les Etats européens n’avaient pas de difficulté à emprunter
les sommes toujours plus importantes dont ils avaient besoin. Les emprunts
obligataires émis étaient placés sans difficulté et associés à un taux de
rémunération faible.
Pourquoi les prêteurs acceptaient t’il d’être petitement rémunérés en
échange des fonds prêtés ? tout simplement parce que le risque associé à
ces emprunts était considéré comme faible. Dit autrement, le risque de ne pas
être remboursés par l'Etat de tout ou partie des fonds prêtés était considéré
comme négligeable. Rappelons que ce risque est évalué par les agences de
notation qui associent à chaque emprunteur potentiel un niveau de confiance,
codifié différemment selon les agences, mais qui grosso modo va de AAA à CCC
voire D pondéré par des + ou des - .
AAA+ signifiant que le risque est quasi nul et CCC- que ce même risque est
extrêmement élevé !
Bien évidemment, et fort logiquement, la rémunération demandée par un
investisseur pour prêter à son argent à une entité notée AAA ne sera pas la
même que s’il confie son argent à une CCC-. Et les écarts peuvent être
extrêmement conséquents !!!
Il est donc important pour un emprunteur d’avoir une bonne note ou dit
autrement il est important pour un emprunteur d’inspirer confiance !
Lorsqu’on sait qu’un Etat comme la France, pourtant noté au maximum,
c'est-à-dire qu'il peut emprunter à un des taux les plus bas possible, dans une
conjoncture extrêmement favorable (les taux d’intérêt sont historiquement bas),
a consacré, en 2008, 55 milliards d’euros uniquement pour payer les intérêts de
sa dette, ce qui constitue son 2ème poste budgétaire, on comprend sans peine
l’importance de cette notation !
Jusque là, rien de choquant !
Certes on peut considérer que les agences de notation, ou du moins les 3
principales, ont un pouvoir excessif du fait des impacts considérables que
peuvent avoir leurs estimations de la situation d’un pays ou d’une entreprise,
néanmoins elles jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’économie
en facilitant la rencontre des prêteurs et des emprunteurs.
On peut leur reprocher beaucoup de choses et notamment de s’être trompées
dans l’évaluation du niveau de risque associé à certains actifs (subprimes) et
on peut également leur reprocher d’être rémunérées par les entités mêmes
quelles sont chargées d’évaluer (à ce propos il semblerait beaucoup plus
cohérent de faire payer leur service aux investisseurs).
On peut également s’interroger sur leurs méthodes d’appréciation, en effet,
comment expliquer les changements de notations brusques ! …la situation de
la Grèce, par exemple, n’est pas nouvelle, certes elle a été dévoilée par la
crise, mais les problèmes de fond datent de la nuit des temps !
Il en est de même du cas espagnol, beaucoup avaient alertés sur le coté
artificiel d’une croissance basée en grande partie sur la hausse des prix de
l’immobilier !
Une notation qui aurait collé à la réalité de l’économie grecque aurait
constitué une alerte et probablement un aiguillon pour que le pays engage des
réformes de fond beaucoup plus tôt !
Les agences de notation ne sont certainement pas exemptes de tous reproches,
mais n’en faisons pas le bouc émissaire de tous les malheurs de nos Etats
impécunieux, elles ne sont que les thermomètres, elles ne sont pas responsables
de la fièvre du malade, elles ne font que la révéler !
Or, ce qu’on révélé, tardivement, les agences de notation, c’est que la
Grèce et plusieurs autres pays européens étaient particulièrement fiévreux et
que sans soins intensifs, le malade risquait sinon d’y passer du moins de ne
plus être en état de rembourser ses créanciers !
D’ailleurs, pour être plus juste, dans le cas de la Grèce, ce sont
« les marchés » et plus précisément les vilains spéculateurs qui ont
pris les devants. Ce sont eux qui, les premiers, ont estimé que la dette de la
Grèce était sous payée par rapport au risque sous-jacent. Les agences de
notation ont ensuite confirmé et d’une certaine manière officialisé la baisse
de confiance. Les spéculateurs ont ainsi profité de leurs anticipations à
contre courant pour se faire plein d’argent (en achetant des CDS
notamment).
Ensuite, tout s’est enchainé très vite, le coté moutonnier et sans nuance
des acteurs de marchés a fait le reste et d’une sous-estimation évidente du
risque par rapport au fondamentaux on est passé à une surestimation excessive
!
Dans un effet boule de neige bien connu, le cout de la dette grecque a
explosé augmentant d’autant ses besoins de financement.
Evidemment, face à une telle situation d’urgence, les exigences des marchés
pour qu’ils daignent considérer que la dette grecque peut-être acquise en toute
confiance, ne sont pas spécialement subtiles et ne s’embarrassent pas
nécessairement de considérations sociales. Il leur faut des preuves de la bonne
volonté de l’impécunieux et vite fait. Ces exigences ne sont pas nécessairement
compatibles avec des politiques de fond ni forcément cohérentes avec ce
qu’exigerait la conjoncture économique ce qui peut contribuer à enfoncer le
malade dans le coma mais….sans fièvre !
Que conclure de tout cela ?
Que les marchés ont fait en 1 mois ce qu’ils auraient du faire
progressivement depuis des années ce qui a laissé croire à la Grèce, comme à
d’autres pays, qu’il suffisait de demander pour être servi en argent frais à
peu de frais !
Que les marchés n’ont fait qu’ajuster, certes brutalement, mais ajuster
leurs estimations du risque de défaillance de l’Etat grec.
Que le meilleur moyen de ne pas être dépendant des exigences des marchés
c’est d’abord de ne pas être trop dépendant de leurs subsides !
Comme le drogué est dépendant de son dealer, les Etats surendettés sont
dépendants des prêteurs !
Si ceux-ci considèrent qu’il est trop dangereux de prêter, ils ne prêteront
plus ou uniquement à un taux prohibitif.
Et ce n’est pas parce qu’on aura mis son dealer en tôle que le drogué va
être guéri ! …non, non, il n’y a qu’un seul vrai remède pour les Etats
dettodépendants, décrocher… c’est difficile, les tentations de rechutes
nombreuses, mais une fois qu’on en est libéré, quel soulagement !!!!!