La dettodépendance

Publié le 11 mai 2010 par Nicolas007bis



L’Europe «est déterminée à ne pas se laisser impressionner » par une « spéculation aussi immorale qu’absurde», nous dit François Baroin !!!

Et encore, ces propos dans la bouche de Baroin sont soft par rapport à ceux qui sont près à mettre les marchés, les spéculateurs et les agences de notation, dans un même sac, bouclé à triple nœud, lesté de pierres et à les balancer par-dessus bord.

Il va sans dire que cette présentation des évènements est à la fois simpliste et en grande partie erronée, il va sans dire, mais compte tenu des discours que l’on entend un peu partout sur le sujet, il ne parait pas inutile de le dire quand même !

La spéculation fustigée par Baroin n’est ni absurde ni immorale mais tout à fait cohérente et …amorale, nuance !

Revenons aux sources du problème.

Les Etats ont de plus en plus besoin d’argent.

Ils ont besoin d’argent non pas de manière ponctuelle pour faire face à une conjoncture exceptionnelle, non pas pour financer un investissement destiné à produire de la croissance future, non, ils ont besoin d’argent parce que de manière structurelle, leurs recettes sont inférieures à leurs dépenses !

Sauf à aller le voler à leur voisin (ce sont des choses qui ne se font plus trop), et faute de vouloir rééquilibrer leurs budgets, les Etats sont donc obligés d’emprunter continuellement de l’argent à ceux qui veulent bien leur en prêter. Rappelons à ce propos que personne n’est obligé de prêter à qui que ce soit, fut-ce à un Etat (sinon cela s'appelle l'impôt) !

Jusqu’à présent, les Etats européens n’avaient pas de difficulté à emprunter les sommes toujours plus importantes dont ils avaient besoin. Les emprunts obligataires émis étaient placés sans difficulté et associés à un taux de rémunération faible.

Pourquoi les prêteurs acceptaient t’il d’être petitement rémunérés en échange des fonds prêtés ? tout simplement parce que le risque associé à ces emprunts était considéré comme faible. Dit autrement, le risque de ne pas être remboursés par l'Etat de tout ou partie des fonds prêtés était considéré comme négligeable. Rappelons que ce risque est évalué par les agences de notation qui associent à chaque emprunteur potentiel un niveau de confiance, codifié différemment selon les agences, mais qui grosso modo va de AAA à CCC voire D pondéré par des + ou des - .

AAA+ signifiant que le risque est quasi nul et CCC- que ce même risque est extrêmement élevé !

Bien évidemment, et fort logiquement, la rémunération demandée par un investisseur pour prêter à son argent à une entité notée AAA ne sera pas la même que s’il confie son argent à une CCC-. Et les écarts peuvent être extrêmement conséquents !!!

Il est donc important pour un emprunteur d’avoir une bonne note ou dit autrement il est important pour un emprunteur d’inspirer confiance !

Lorsqu’on sait qu’un Etat comme la France, pourtant noté au maximum, c'est-à-dire qu'il peut emprunter à un des taux les plus bas possible, dans une conjoncture extrêmement favorable (les taux d’intérêt sont historiquement bas), a consacré, en 2008, 55 milliards d’euros uniquement pour payer les intérêts de sa dette, ce qui constitue son 2ème poste budgétaire, on comprend sans peine l’importance de cette notation !

Jusque là, rien de choquant !

Certes on peut considérer que les agences de notation, ou du moins les 3 principales, ont un pouvoir excessif du fait des impacts considérables que peuvent avoir leurs estimations de la situation d’un pays ou d’une entreprise, néanmoins elles jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’économie en facilitant la rencontre des prêteurs et des emprunteurs.

On peut leur reprocher beaucoup de choses et notamment de s’être trompées dans l’évaluation du niveau de risque associé à certains actifs (subprimes) et on peut également leur reprocher d’être rémunérées par les entités mêmes quelles sont chargées d’évaluer (à ce propos il semblerait beaucoup plus cohérent de faire payer leur service aux investisseurs).

On peut également s’interroger sur leurs méthodes d’appréciation, en effet, comment expliquer les changements de notations brusques ! …la situation de la Grèce, par exemple, n’est pas nouvelle, certes elle a été dévoilée par la crise, mais les problèmes de fond datent de la nuit des temps !

Il en est de même du cas espagnol, beaucoup avaient alertés sur le coté artificiel d’une croissance basée en grande partie sur la hausse des prix de l’immobilier !

Une notation qui aurait collé à la réalité de l’économie grecque aurait constitué une alerte et probablement un aiguillon pour que le pays engage des réformes de fond beaucoup plus tôt !

Les agences de notation ne sont certainement pas exemptes de tous reproches, mais n’en faisons pas le bouc émissaire de tous les malheurs de nos Etats impécunieux, elles ne sont que les thermomètres, elles ne sont pas responsables de la fièvre du malade, elles ne font que la révéler !

Or, ce qu’on révélé, tardivement, les agences de notation, c’est que la Grèce et plusieurs autres pays européens étaient particulièrement fiévreux et que sans soins intensifs, le malade risquait sinon d’y passer du moins de ne plus être en état de rembourser ses créanciers !

D’ailleurs, pour être plus juste, dans le cas de la Grèce, ce sont « les marchés » et plus précisément les vilains spéculateurs qui ont pris les devants. Ce sont eux qui, les premiers, ont estimé que la dette de la Grèce était sous payée par rapport au risque sous-jacent. Les agences de notation ont ensuite confirmé et d’une certaine manière officialisé la baisse de confiance. Les spéculateurs ont ainsi profité de leurs anticipations à contre courant pour se faire plein d’argent (en achetant des CDS notamment).

Ensuite, tout s’est enchainé très vite, le coté moutonnier et sans nuance des acteurs de marchés a fait le reste et d’une sous-estimation évidente du risque par rapport au fondamentaux on est passé à une surestimation excessive !

Dans un effet boule de neige bien connu, le cout de la dette grecque a explosé augmentant d’autant ses besoins de financement.

Evidemment, face à une telle situation d’urgence, les exigences des marchés pour qu’ils daignent considérer que la dette grecque peut-être acquise en toute confiance, ne sont pas spécialement subtiles et ne s’embarrassent pas nécessairement de considérations sociales. Il leur faut des preuves de la bonne volonté de l’impécunieux et vite fait. Ces exigences ne sont pas nécessairement compatibles avec des politiques de fond ni forcément cohérentes avec ce qu’exigerait la conjoncture économique ce qui peut contribuer à enfoncer le malade dans le coma mais….sans fièvre !

Que conclure de tout cela ?

Que les marchés ont fait en 1 mois ce qu’ils auraient du faire progressivement depuis des années ce qui a laissé croire à la Grèce, comme à d’autres pays, qu’il suffisait de demander pour être servi en argent frais à peu de frais !

Que les marchés n’ont fait qu’ajuster, certes brutalement, mais ajuster leurs estimations du risque de défaillance de l’Etat grec.

Que le meilleur moyen de ne pas être dépendant des exigences des marchés c’est d’abord de ne pas être trop dépendant de leurs subsides !

Comme le drogué est dépendant de son dealer, les Etats surendettés sont dépendants des prêteurs !

Si ceux-ci considèrent qu’il est trop dangereux de prêter, ils ne prêteront plus ou uniquement à un taux prohibitif.

Et ce n’est pas parce qu’on aura mis son dealer en tôle que le drogué va être guéri ! …non, non, il n’y a qu’un seul vrai remède pour les Etats dettodépendants, décrocher… c’est difficile, les tentations de rechutes nombreuses, mais une fois qu’on en est libéré, quel soulagement !!!!!