Walser le promeneur. C'est ainsi désormais qu'on l'imagine, c'est ainsi qu'il est fixé pour la postérité: errant dans les campagnes vagues, laissant flotter son attention, capté soudain par une idée ou par un détail.
Cette image de l'auteur est parfaite pour les Rêveries et petites proses. Quelqu'un soudain, s'immobilise, observe un berger étendu en plein soleil, un chaton roux qui joue, se souvient d'un rêve, ou d'un danseur, décrit un paysage ou se rappelle une période de sa vie.
De petites choses, toujours. Des scènes qui baignent dans la simplicité, la légèreté, la jouissance de voir ou de penser, mais avec un voile, une ombre menaçante dans un coin du décor.
Walser affirmait n'avoir jamais corrigé une phrase de sa vie. Il laissait venir et ne retouchait pas. La méthode est importante pour comprendre son esthétique. Il s'agit de saisir un moment, d'exprimer un état d'esprit, une minute de grâce, un souvenir qui revient, un spectacle, à travers une subjectivité marginale qui s'exprime à plein Dans cette optique, retravailler le texte serait une trahison, puisque l'harmonie de la vision n'est plus, le moment est passé.
Ce qui fait l'intérêt de Walser, c'est ça: ces arrêts sur des choses insignifiantes pleines d'une intensité magique par la grâce d'un esprit qui s'y concentre soudain, mais c'est aussi et surtout l'écriture.
Je lis Walser en traduction. On sent déjà dans ses textes cette jouissance de la langue, ce surgissement un peu sauvage, qui semble exploiter toutes les possibilités du verbe qui s'entraîne lui-même comme dans une ronde. Ceux qui l'ont lu en allemand me disent que c'est incomparable et qu'il y a chez Walser une beauté et une richesse admirables. De quoi donner envie d'apprendre l'allemand!
Robert Walser, Rêveries et autres petites proses, L'Aire bleue