14ème livraison

Publié le 26 octobre 2007 par Coquenart
A mon grand étonnement, je ne ressentis rien à son aspect de l’aura majestueuse émanant de la personne royale : rien d’imposant chez cet homme, tête nue, la barbe taillée en pointe, un peu voûté, au visage déjà sillonné par les rides de l’âge. Rien non plus dans ses vêtements qui rappelât l’opulence caractéristique de son défunt prédécesseur, le roi Henri III, dont j’avais pu admirer, sur les gravures et les caricatures qui circulaient dans Paris, les fabuleuses excentricités. Au contraire, le roi portait une tenue très simple, qui eût plus convenu à un jour de chasse qu’à un jour d’audience, et qui paraissait pour le moins élimée : des chausses grises à bouffants, un pourpoint de la même couleur sans ornement, une cape courte attachée sur l’épaule gauche, ainsi qu’une fraise empesée et une petite épée attachée au côté composaient tout son costume.

Mais je le compris très vite : la majesté et le génie d’Henri IV ne résidaient pas dans la représentation, au sens où un roi joue toujours plus ou moins le rôle du roi face à ses sujets. Non, ce n’était pas là ce qui frappait dans la figure bonhomme de notre souverain ; c’était bien plutôt l’extraordinaire vivacité du regard, derrière les plis formés par les pattes d’oie au coin de l’œil ; on devinait, à l’éclat de ces extraordinaires prunelles, d’un bleu profond, l’homme volontaire et obstiné, qui poursuivrait durant toute sa vie le même objectif. Cet homme était roi, et se souvenait sans cesse qu’il était roi : cette parfaite intelligence des affaires du royaume, alliée à la conscience parfaite de son rôle, faisait la grandeur de celui qu’on eût pris, à son absence de manières, pour le dernier des gentilshommes de France.


- Eh bien, Coquenart, voilà bien longtemps que je ne vous ai vu, n'est-ce pas ?