A l’origine de Cavaliers seuls, il y a la rencontre de Jean Rochefort, immense comédien que l’on ne présente plus, et de Delphine Gleize, l’une de nos plus talentueuses jeunes réalisatrices, et leur envie de travailler ensemble. Las, leurs projets ont été retardés, suspendus, annulés…
Et puis, un jour, le duo est allé rendre visite à un vieil ami de Jean Rochefort, qui fut jadis son maître d’équitation : Marc Bertran De Balanda (1). Ils ont découvert un homme âgé, en fin de vie, infirme des deux jambes suite à des blessures mal soignées, mais encore plein d’énergie et d’envie, le coeur battant pour ses passions de toujours: les chevaux, l’équitation, le dressage. Il habitait d’ailleurs dans un box d’écurie réaménagé en petit logement, proche des chevaux et des terrains.
Ils ont aussi rencontré Edmond Joncqueres D’Oriola, apprenti cavalier prometteur à qui Marc prodiguait ses précieux conseils techniques.
A partir de la relation complice entre l’adolescent et le vieil homme, l’un débutant sa vie, l’autre la finissant, Delphine Gleize et Jean Rochefort ont vu la possibilité de broder une belle histoire de transmission et de filiation spirituelle. L’idée du film avait germé…
Mais ce seul sujet, alternant scènes d’équitation et moments d’intimités, n’aurait probablement pas suffi à donner une oeuvre intéressante.
Le déclic est venu lors d’une autre visite au haras des Bréviaires, et l’apparition d’un troisième personnage, Martine Tumolo, l’aide à domicile qui prodiguait au vieil homme soins et petites attentions. Cet improbable trio, rassemblant trois générations différentes, et la profonde humanité qui s’en dégage, constitue le coeur du film, au sens propre comme au figuré.
Pendant trois ans, Delphine Gleize, Jean Rochefort et la chef-opératrice Crystel Fournier ont filmé à intervalles réguliers, au rythme des saisons, des scènes de la vie quotidienne faisant intervenir ces trois personnages, dans toute leur banalité, mais aussi dans toute leur singularité, leur caractère rare. Instants de tendresse, de complicité, d’humour et d’amour, d’agacement mutuel aussi, parfois…
Un matériau évidemment documentaire, ancré dans le réel, mais qui devient, soumis aux idées des cinéastes et par la grâce d’un travail de montage titanesque (effectué avec la complicité de Catherine Zins, la chef-monteuse), une oeuvre totalement différente, presque une fiction. Chaque scène, chaque plan, fait sens et trouve sa place dans une structure à la fois simple – car on ne peut plus linéaire - et complexe – qui aborde une multitude de sujets, autour de l’apprentissage de la vie, la transmission du savoir et de la passion, l’adolescence et le besoin de rébellion, la vieillesse et le sentiment de solitude qui l’accompagne,… Et qui s’accompagne d’une véritable recherche esthétique et artistique.
On reconnaît ici la patte de Delphine Gleize, qui aime jouer sur la force évocatrice des images, l’utilisation des récurrences et des oppositions visuelles. Par exemple, lorsqu’elle oppose le galop d’un cheval au cheminement chaotique du fauteuil roulant de Marc, ou quand elle fait le parallèle entre l’entraînement d’Edmond, baissant les bras face à la difficulté et les exercices de marche du vieil homme, véritables parcours du combattant…
Le motif de l’oeil, qui était l’un des motifs récurrents de Carnages, son premier long-métrage, est une fois de plus mis en avant, la caméra traquant les regards que s’adressent les personnages les uns aux autres : regard bienveillants de Marc Bertran De Balanda sur Edmond, presque celui d’un père sur un fils ou d’un grand-père sur un petit-fils, regard plein de compassion de Martine sur son patient, dont elle sait les jours comptés, regard plein de désir ou de malice du vieil homme, séducteur impénitent, quand son infirmière dévouée lui lit les poèmes érotiques qu’elle a écrits, et regard interloqué de l’adolescent lors de la même scène…
Mais jamais la mise en scène ne cherche à se mettre en avant par rapport aux sujets qu’elle traite. Au contraire, les cinéastes font preuve de beaucoup de respect vis-à-vis des trois personnes qu’ils filment, en commençant par aborder les thèmes les plus délicats – la maladie, la mort – avec infiniment de pudeur et de dignité.
Cavaliers seuls ne sombre jamais dans le pathos et encore moins dans le voyeurisme sordide. C’est au contraire un film plein de vie et d’humanité sur des gens pleins de vie et d’humanité. Une oeuvre généreuse et sensible, parfois drôle et souvent touchante.
Mais comme souvent, ce genre de “petit” film ne bénéficie que d’une sortie assez confidentielle (2) et n’est pas appelé à rester longtemps à l’affiche.
Alors, hâtez-vous de découvrir ce petit bijou de documentaire… Au pas, au trot ou au galop… hop hop hop…
(1) : Marc Bertran De Balanda est issu d’une célèbre lignée de cavaliers français. Son père fut vice-champion olympique, son fils fut également un grand cavalier et lui-même a remporté plusieurs compétitions équestres avant d’enseigner l’art de l’équitation au Cadre Noir de Saumur. Il est décédé le 3 août 2006.
(2) : Le film a déjà mis trois longues années pour arriver sur les écrans, puisqu’il a été bouclé en 2007…
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Cavaliers seuls
Réalisateurs : Delphine Gleize, Jean Rochefort
Avec : Marc Bertran De Balanda, Edmond Joncqueres D’Oriola, Martine Tumolo
Origine : France
Genre : Documentaire plein de vie
Durée : 1h27
Date de sortie France : 05/05/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : –
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