Flying Lotus, très peu de présentation à faire tant en quelques années, celui-ci est devenu un incontournable, une figure de proue dominante des musiques électroniques. Tout concorde jusqu'ici à le positionner sur un piédestal, toute raison est faite pour que nous puissions placer en lui nos rêves les plus fous. Petit rejeton de la famille Coltrane – neveu d'Alice et cousin de Ravi, Steven Ellison mène en effet une carrière foudroyante dans sa courbe de popularité comme dans son effarante qualité. À partir 2008 et la sortie de Los Angeles chez Warp, c'est carrément l'hystérie. Voilà le renouveau du label, sa seconde jeunesse tant espérée avec une nouvelle idole pour électroniciens boiteux. Depuis, Flying Lotus maintient l'excitation à son comble avec des singles étourdissants ("Disco Balls", "Glendale Galleria") et des collaborations bien senties (José James, Gonjasufi). Il en résulte que le Cosmogramma qui nous concerne aujourd'hui est un événement, voire un avènement, celui d'un Maître. C'est la cérémonie et le couronnement d'un nouveau Dieu digital. Le problème, c'est que si cet aboutissement est écrit – c'est le destin pensons-nous, il n'en demeure pas moins légèrement abrupt car, pour la première fois, Flying Lotus donne l'impression de forcer le passage.
Cosmogramma est un disque d'une densité inouïe. Ça en devient dingue. L'ambition est là, affleurant partout, violemment explicite et même souvent arrogante. Chaque titre se veut une potentielle révolution, un au-delà des galons précédemment acquis. Ellison ne se contente ainsi jamais de ses propres avancées – ça lui semble insupportable, il faut encore aller chercher plus loin. Mais plus loin ça veut dire ailleurs, dans la rythmique déconstruite, dans la digression jazz et dans l'orchestration à cordes. Grand kaléidoscope théorique, Cosmogramma est aussi un disque un peu perdu, qui peine à se trouver un fil directeur. Souvenez-vous de Los Angeles, il en ressortait une grande impression de fluide. L'enchaînement de titres courts y formait une coulée, une histoire sans heurts. Ce qui manque au dernier Flying Lotus c'est précisément ça, une narrativité. Nous sommes ici constamment ici dans l'à-coup : chaque nouveau morceau fait table rase du précédent et c'est l'accumulation qui guète, l'empilement en coq-à-l'âne des prouesses – puisque prouesses évidemment il y a.
Effectivement, une fois le deuil du chef d'œuvre effectué, le deuil que le tout ne soit pas bien différent de la somme des parties ou que le shuffle ne soit pas moins insensé que l'ordre prescrit, on finit par se laisser aller aux très beaux instants de Cosmogramma. Malgré quelques marches arrières vers Squarepusher ("Pickled!", "Dance Of The Pseudo Nymph") et quelques redites inavouées, la magie, par fulgurances, opère. Que ce soit clair, FlyLo reste l'un des producteurs les plus fascinants de son époque. Et personne ne peut mieux que lui faire pleurer ses machines – "Zodiac Shit", "Galaxy In Janaki" et "Drips // Auntie's Harp" en sont de bons exemples. Il y a même un titre vraiment époustouflant et complètement inattendu, "Do The Astral Plane", avec rythmique house et samples de bossa, un titre qui enfin se dégage de la simple vignette, de la plaquette de laboratoire, pour proposer une structure construite, fouillée et cohérente. Le problème est que cela demeure une exception, et que malgré ses évidentes qualités formelles, Cosmogramma est un disque brouillon, indifférencié, qui n'arrive pas à être autre chose qu'un série désordonnée de petites séquences, de petits miracles soutenus par aucune fondation, par aucune architecture. C'est dommage, affreusement dommage même. Mais on ne lui en tiendra pas trop rigueur. Pour cette fois.
Chronique également disponible sur Goûte Mes Disques.