L’esprit de la pause cigarette

Publié le 03 mai 2010 par Opinion Sur Rue

Vous êtes nombreux à toujours refuser cet instant de détente par peur de dépendance. On vous comprend. Pour les corrompus, les grillés, les « c’est trop tard », mais aussi pour l’Organic Generation, petit tour d’horizon de la “pause clope” sur votre lieu de travail, zone d’influence soupçonnée.

L’après-midi traine. Pas trop de travail aujourd’hui. Vous vous levez de votre de poste de travail en souriant à vos collaborateurs. Quelques étages plus bas, vous allumez une cigarette, à l’entrée, le regard entre deux dossiers. Quelqu’un vous rejoint, lui aussi est fumeur, mais dans un autre département ; ensemble, nous sommes content de partager ces 7 minutes de repos bien mérités. Le petit plaisir défendu, le requiem pour un petit pot de tabac, la vie, à plein poumons, en plein coeur de la ville.

Dans le monde du travail comme ailleurs, les fumeurs se serrent les coudes, ils s’encouragent presque. Voyons-nous ici une simple rébellion autour d’un territoire grignoté toujours plus par les non-fumeurs ? Pas tout à fait. Fumer peut s’avérer un pur calcul stratégique dans le monde de l’entreprise. En multipliant votre fréquentation de la zone fumeur (avec une cigarette, c’est mieux), vous vous octroyer un accès à cet espace informel de dialogue autour de la santé de l’entreprise et de ses salariés. Une prise de vue direct sur le mental des troupes, les projets en cours et problèmes du mois. Pas étonnant que l’avocat impatient fasse semblant de fumer pour accompagner le juge gros fumeur sur le trottoir entre deux séances dans l’espoir grappiller une info ou deux.

En septembre 2009 était publiée « Tabac, territoires, travail », menée par le CSA Santé (institut français d’études de marketing et d’opinion), une étude s’orientant vers la conclusion qu’en entreprise, les fumeurs sont moins productifs et plus souvent malades. Aussi, et dans cette même enquête, Bertrand Dautzenberg, pneumologue et président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFT) appuie sur le fait que « ceux qui fument un paquet quotidiennement font huit pauses dans la journée, soit environ 80 minutes d’arrêt ». Le pneumologue veut nous faire comprendre ici que le fumeur est moins productif que les autres en raison du temps qu’il consacre au tabac (bon par contre si vous êtes à un paquet par jour, il va rapidement falloir choisir entre la vie en entreprise et la vie tout court). Mais le pneumologue est pneumologue et dirait tout pour nous faire arrêter de fumer. C’est sans compter sur la justice qui, il y a quelques années, avait tranché en faveur d’un cadre gros fumeur. Ce dernier réclamait à son employeur le paiement d’heures supplémentaires, ce que l’entreprise refusait en raison des habitudes pulmonaires de son employé. Lors du procès, l’avocat en charge de la défense du fumeur raconte : « J’avais fait l’analogie avec les pauses café. J’avais montré que lors de ses pauses, il réfléchissait toujours. Ce qui ne constituait pas un temps d’arrêt de travail. Il était donc toujours à la disposition de l’employeur ». Coup de théâtre, le fumeur ne fait pas que fumer lors de sa pause, il réfléchit aussi … A défaut de s’aérer les poumons, il s’aèrerait donc l’esprit. Etonnant, non ?

Autre temps fort de la pause cigarettes, les rencontres. Votre réseau au sein de l’entreprise se construit naturellement dans votre groupe de travail, avec vos collaborateurs, dans votre terreau d’idées habituels. Mais échangez avec une Secrétaire de Direction ou le Coursier du département X ou Y autour du cendrier, vous pouvez vous rendre compte que vous êtes complètement à côté de la plaque, que votre projet risque de tomber à l’eau, qu’un tel a été recruté, que l’autre s’est fait remercier en passant par la porte de derrière ou encore que l’entreprise souhaite des promotions en interne. Décompressez, apprenez, partagez pour un retour à votre poste plus détendu et un peu plus frais bien qu’intoxiqué de café et tabac.

Bien sûr j’exagère, la pause cigarette n’est pas le point stratégique auquel il faut se connecter absolument, comprenez par là qu’il y a des petits coins informels (couloirs, cantine, ascenseur …), où il est bon de faire un tour de temps à autres, juste pour glaner une info ou deux, ce qui peut faire de vous un collaborateur informé et en prise direct avec l’actualité de l’entreprise. Quand à moi je vous laisse, c’est l’heure de la pause café-filtre.

Pour aller plus loin
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