Dans mon séminaire, il m'arrivait souvent de "parler boutique" dans de longues conversations téléphoniques nocturnes avec mon vieil ami de Gordon-Cornwell, Gerry Matatics. Nos esprits avaient les mêmes affinités, il aimait la Bible autant que moi et détestait l'Eglise catholique encore plus. Il était alors pasteur d'une Eglise presbytérienne à Harrisburg. Nous partagions tous deux la conviction que l'Eglise catholique était totalement différente de certaines confessions protestantes telles les Méthodistes, les Luthériens ou l'Assemblée de Dieu, qui, chacune, nous paraissait entachés d'erreurs doctrinales ici ou là, sur un point ou l'autre.
Si l'Eglise catholique était dans l'erreur, c'était bien plus qu'un petit peu, car aucune confession au monde n'avançait des prétentions aussi outrecuidantes que celle de Rome. Par exemple, les Méthodistes n'avaient jamais prétendu être l'unique véritable Eglise fondée par Jésus, et les Luthériens ne prétendaient pas être dirigés par un Pape qui était le vicaire infaillible du Christ sur terre, et l'Assemblée de Dieu n'avait pas de dirigeants qui se prétendaient successeurs en droite ligne de Pierre.
Tout comme le cardinal Newman avant nous, Gerry et moi comprenions que si l'Eglise catholique était dans l'erreur, alors elle ne pouvait être rien moins que diabolique. Mais, en contrepartie, si elle était dans la vérité, elle devait avoir été fondée est protégée par la volonté divine, mais cette dernière possibilité n'était guère concevable pour nous.
En toute honnêteté, j'appréhendais le moment où Gerry découvrirait l'objet de mes lectures et de mes réflexions. Mais, comme nous parlions souvent et longuement, je me disais que ce n'était qu'une question de temps.
Finalement, une nuit, l'événement se produisit. Nous parlions d'Ecriture Sainte depuis plus d'une heure quand j'ai trouvé, tout à coup, l'envie de lui lire un passage de L'esprit et les formes du protestantisme du père Louis Bouyer. Je ne voulais pas lui donner le titre, ni l'auteur, ni son affiliation religieuse. Je voulais seulement sa réaction au texte.
Après une longue pause, le souffle coupé, il dit : « Ho ! Ça, c'est drôlement bien, Scott. De qui est-ce ? »
Sa réponse de me désarçonna complètement. Je n'avais pas prévu qu'il aimerait ce texte. Que faire ?
Je répondis faiblement :
« Louis Bouyer.
- Bouyer ? Jamais entendu parler. Il est quoi ? Anglican ?
- Non.
- C'est bon Scott. Je suis prêt à lire des Luthériens.
- Non. Il n'est pas Luthérien.
- Alors, quoi ? Méthodiste ?
- Non.
- Allez, Scott, à quoi tu joues, aux vingt questions ? Arrête ce jeu. Il est quoi ? »
Je me couvris la bouche et murmurai : « Catholique. »
J'entendis Gerry taper sur le téléphone et dire : « Scott, la ligne doit être mauvaise. Je n'ai rien compris à ce que tu as dit. »
Je marmonnai un peu moins bas : « J'ai dit qu'il était catholique.
- Scott, il doit vraiment y avoir quelque chose qui ne va pas avec mon téléphone. Je jurerais que tu m'as dit qu'il était catholique.
- C'est ce que j'ai dit, Gerry. En fait, je lis des tas d'auteurs catholiques ces derniers temps. »
Et soudain, tout est sorti : il faut que je te le dise, Gerry, je suis tombé sur une mine d'or. Je ne sais pas pourquoi, mais on ne nous a jamais parlé au séminaire des plus brillants théologiens des temps modernes. Des hommes comme de Lubac, Garrigou-Lagrange, Ratzinger, Urs von Balthazar, Pieper, Daniélou, Dawson et Scheeben. C'est incroyable - même s'ils ont tort - c'est une mine d'or ! »
Gerry était assommé : « Oh ! Scott. Ralentis ! Attends un peu. Qu'est-ce qui se passe ? »
Je soupirai : Gerry, j'ai besoin de ton aide.
- Bien sûr que je vais t’aider. Donne-moi une liste de titres et je te donnerai une liste des meilleurs livres anticatholiques que je connaisse. »
J'envoyais à Gerry une liste des meilleurs livres de théologie catholique que j'avais lus. Quand sa propre liste arriva, je vis que j'avais déjà lu tous les livres qu’il me recommandait.
Un mois plus tard, Gerry rappelait.
Kimberly avait du mal à retenir son excitation. Elle avait espéré et prié pour demander à Dieu son aide.
Comme je prenais le téléphone, elle me souffla : « Enfin quelqu'un qui va te prendre au sérieux, Scott. Je vais prier pour votre conversation. »
Pendant tout ce mois depuis notre dernière conversation, Gerry avait lu chacun des livres de ma liste, et d'autres encore. Maintenant, il me demandait même : « Peux-tu me proposer encore d'autres titres ? Je veux me montrer vraiment équitable. »
Pour Kimberley, Gerry était un "chevalier à la brillante armure", envoyé par Dieu pour sauver son époux de l'hérésie. Et il avait les moyens de le faire. Il avait été un étudiant hors pair, principalement en grec classique et en latin, et il avait étudié l'hébreu et l'araméen. Il était parfaitement armé pour le bon combat.
Je répondis: « Bien sûr, Gerry. Je t'envoie d'autres livres avec plaisir. »