Salle 5 - vitrine 2 : le bas-relief e 11247 a

Publié le 11 mai 2010 par Rl1948

   Notre découverte de la deuxième vitrine de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre nous a amenés, souvenez-vous, amis lecteurs, à ne délibérémment considérer jusqu'à présent que des fragments de bas-reliefs : le E 13101 le 16 mars et le AF 452  le 27 avril derniers ; sans oublier toutes les interventions annexes qu'il m'a semblé opportun d'ajouter aux fins de vous permettre de mieux appréhender les contextes historiques et symboliques inhérents à ces monuments.

     C'est au troisième d'entre eux qu'aujourd'hui j'aimerais consacrer mon intervention. 

   A droite de cet AF 452 qui nous a retenus les deux denières semaines, placée sur un socle, je vous propose de détailler la pièce référencée  E 11247  A

   Elle constitue un autre très beau bloc de calcaire gravé en léger relief , puis peint, de 43, 60 cm de haut et 41 cm dans sa plus grande largeur, provenant  vraisemblablement, selon le cartel qui  ne fournit aucune autre précision d'origine, de la tombe d'un certain Ouahka.

   Il faut savoir qu'il y eut, au Moyen Empire, à la XIIème dynastie plus précisément, sous les règnes d'Amenemhat II et III, soit entre 1900 et 1800 avant notre ère, deux gouvernants, deux "nomarques" comme on désigne en égyptologie ceux qui sont à la tête d'une des provinces du pays appelées "nomes", qui portèrent le même patronyme. Ces deux Ouahka dirigèrent le dixième nome de Haute-Egypte.

   Leurs tombes - la n° 7 et la n° 18 selon la classification communément adoptée -  furent découvertes dans le courant des années vingt à Qaou el-Kébir, la Tjebou des Egyptiens, l'Antaeopolis des Grecs, sur la rive orientale du Nil à une petite cinquantaine de kilomètres au sud d'Assiout ;  puis publiées en 1930 par leur inventeur, W.M. Flinders-Petrie.

     

   Malgré les différents morceaux brisés, nous distinguons sans peine trois niveaux de représentation délimités soit par une ligne  de séparation, soit par un chromatisme adapté :  ainsi, au registre inférieur, si ce n'était la présence effective des poissons, la couleur bleu tendre presque arrivée intacte jusqu'à nous indique que nous sommes dans un milieu aquatique. Y évoluent, de gauche à droite, un mormyre oxyrhynque au profil si typé  et une tilapia nilotica : tous deux semblent avoir (momentanément ?) échappé au harpon d'un pêcheur.

   Simplement pour rappel, le mormyre constituait le poisson sacré de la ville d’Oxyrhynque, la "Per Medjed" des Egyptiens, à l'ouest d'un des bras principaux du Nil au sud de l'oasis du Fayoum, dans la province de Minieh, à environ 160 kilomètres du Caire et 300 d'Alexandrie.

   Cette ville antique datant de l'époque ramesside, située à un important carrefour de voies caravanières et fluviale, devint l'Oxyrhynchos des Grecs, étymologiquement à cause du museau quelque peu busqué et effilé du poisson tellement révéré dans le XIXème nome de Haute-Egypte qu'un temps furent engagés combats contre ceux de l'autre rive parce qu'ils affichaient la malencontreuse habitude de consommer leur dieu.

A notre époque, l'endroit porte le toponyme arabe de el-Bahnasa.

   Pour quelle raison s'interrogeront peut-être certains d'entre vous, ai-je qualifié cet animal de sacré ? Simplement parce que, selon la mythologie égyptienne, c'est un oxyrhynque qui aurait avalé le phallus d'Osiris  dont le corps avait été dépecé par son frère Seth qui en avait ensuite dispersé les différentes parties dans le Nil. Et ce ne fut qu'au terme d'une longue quête qu'Isis, sa soeur et non moins épouse, les retrouva et les  reconstitua.

   Sombre histoire comme il s'en passe dans de nombreuses familles ... divines. 

   Vénéré dans tout le pays, celui que l'on nomme aussi brochet du Nil, incarnait la déesse Touéris, annonciatrice de la bienfaisante crue du Nil, partant, de la renaissance annuelle de la végétation.

   Quant  à nous, cet oxyrhynque ne nous est point inconnu puisque, si vous vous rappelez, nous l'avions déjà rencontré en 2008, grâce aux deux exemplaires en bronze, N 4 014 A et E 14 364, datant de Basse Epoque, exposés dans la grande vitrine centrale de la salle 3. Nous y avions également découvert la tilapia sur laquelle, tout dernièrement, j'ai à nouveau eu l'opportunité de vous entretenir : je m'autorise donc aujourd'hui à ne point y revenir.

   Au registre médian, par ailleurs délimité du précédent par un bandeau initialement peint en vert - nous sommes donc sur une rive du Nil, vraisemblablement pas très loin des fourrés de papyrus dont nous connaissons à présent toute la symbolique -, nous percevons des canards et un flamant rose capturés dans une sorte de piège de mailles quadrangulaires : probablement reconnaîtrions-nous, s'il n'y avait cassures des deux côtés, le typique filet hexagonal.

   Enfin, le petit morceau du dernier registre tout au-dessus de ce relief, laisse entrevoir quelques volatiles déjà trucidés qui pendent en attendant d'être dépecés et consommés.

   M'est-il à nouveau besoin d'insister sur la précision des traits des artistes de l'époque qui permet de nos jours aux scientifiques de déterminer avec justesse les catégories animales ici représentées ?  

   Mardi dernier, en conclusion de l'article dans lequel, précisément, j'avais évoqué la capture d'oiseaux migrateurs aquatiques à l'aide du filet hexagonal, j'avais laissé sous-entendre que, à défaut d'être consommés dans de brefs délais, ces volatiles capturés pouvaient très bien se retrouver dans des fermes destinées soit à leur permettre de se reproduire, soit à être engraissés.

   Certains d'entre vous, amis lecteurs, ont probablement déjà eu l'heur de se rendre au mastaba de Ti, à Saqqarah, - cette tombe de l'Ancien Empire  que j'ai souvent citée et dont vous pouvez par ailleurs avoir un aperçu plus que détaillé grâce à la visite que nous en propose OsirisNet (merci Thierry, une fois encore). Il vous aura peut-être été donné, en fonction du guide qui, ce jour-là vous accompagna, d'admirer, sur la partie de droite de la paroi sud du portique - à gauche en entrant donc, ce que les égyptologues sont maintenant convenus d'appeler la ferme aux volailles - en fait, deux tableaux distincts qui nous renseignent avec précision, légendes hiéroglyphiques à l'appui, sur les locaux réservés, suivant leur finalité différente, aux oiseaux aquatiques.
   Grâce à une analyse descriptive pointue qui en a été faite par l'égyptologue français Pierre Montet, nous savons maintenant que deux établissements différents - les "chétébou" et les "hérout" -, leur étaient destinés.
   Les hérout correspondaient en fait, si j'en crois les parois de ce tombeau, mais aussi de celui de Kagemni, à un ensemble avicole comprenant, en plus d'un logement destiné aux membres du personnel, l'enclos dans lequel évoluaient les volatiles : rectangulaire, ceint d'une palissade avec, en son centre, un bassin entouré d'herbes dans lequel s'épanouissaient des fleurs de lotus.
    Simple petite remarque sémantique qui a néanmoins son importance : le déterminatif qui  finalise le lexème "hérout" représente le signe de l'eau. Les philologues eurent tôt fait d'en déduire qu'une pièce d'eau constitua l'élément cardinal de ce type de ferme. Et donc, je poursuis ce raisonnement, que dans ces "hérout", les volailles bénéficiaient d'une relative liberté semblable, en définitive, à celle qui était la leur dans les marais nilotiques.
   En revanche, et toujours en détaillant les scènes pariétales du mastaba de Ti, notamment au niveau du troisième panneau du mur ouest, il est indéniable que la quotidienneté que vivaient ceux des animaux parqués dans les "chétébou", était tout autre : là, dans des cabanes fermées par un grillage, ils étaient rassemblés pour y être manifestement engraissés, gavés avant que, dans une petite cour, ils aient tout loisir d'aller s'ébattre quelques instants post-prandiaux, puis de réintégrer leur cabane en attendant le prochain repas. 
   Il nous suffit d'ailleurs de traduire les légendes hiéroglyphiques accompagnant ces tableaux pour rapidement nous en convaincre : cuire le pain et le préparer en boulettes, propose l'une ; préparer des boulettes de pain pour le nourricier des oiseaux, précise l'autre ; engraisser les grues, gaver les grues, ajoutent les dernières, avant de mentionner, in fine : promener canards et oies blanches après le repas" ...  

    

     Si à présent nous nous déplaçons légèrement vers la droite de cette  vitrine encastrée,

il ne nous reste plus, pour épuiser l'ensemble des reliefs et avant d'évoquer d'autres objets choisis en vue d'illustrer le thème de la chasse et de la pêche, qu'à nous pencher sur les deux derniers fragments exposés en son extrémité.

     C'est, amis lecteurs, ce que je vous réserve pour mardi prochain, si toutefois l'aventure vous tente ...

(Dessoudeix : 2008, 683 ; Favry : 2004, 47-8 ; Montet : 1925, 116-25)