Johannes JELGERHUIS RZN
(Leeuwarden, 1770-Amsterdam, 1836),
La librairie de Pieter Meijer Warnars à Amsterdam, 1820.
Huile sur toile, 48 x 58 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.
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« Il y avait deux hommes en moi, et je ne l’avais pas compris. Le bon M. Pâques, le coiffeur bien coiffé, le bonhomme dont on se moque et que ses amis imitent au dîner mensuel des grands coiffeurs. Et un autre, qui existait aussi et que je ne voyais pas quand je me regardais dans la glace. Un Adolphe Pâques qui n’avait pas mon visage, pas ma stature, qui ne me ressemblait pas, mais qui était moi, aussi : celui qui lisait à haute voix les pages de M. de Chateaubriand. » Chapitre IX, p. 82.
Que peuvent bien cacher les portes obstinément closes du placard d’Adolphe Pâques, ce jeune et talentueux coiffeur qui déploie tous les trésors de son art pour conserver son allure de génie dans le vent au célébrissime mais vieillissant François-René de Chateaubriand (1768-1848) ? Quels liens particuliers se sont tissés entre ces deux hommes qui se meuvent dans des univers a priori aussi radicalement opposés ? Le Coiffeur de Chateaubriand, le nouveau roman d’Adrien Goetz nous propose, avec une malice non dénuée de tendresse, de pénétrer dans l’intimité imaginée des dernières années d’un des écrivains les plus adulés de son temps.
Adolphe Pâques a réellement existé, on peut même circonscrire son parcours qui, s’il ne lui avait pas permis de décoiffer un des plus fameux écrivains de la première moitié du XIXe siècle, serait sans doute demeuré fort obscur, entre deux bornes chronologiques : 1816-1906. L’artiste coiffeur, ainsi qu’il se définit lui-même, laisse à la postérité des mémoires ainsi qu’un tableau représentant la chambre natale de Chateaubriand, confectionné avec les cheveux qu’il récupérait après en avoir délesté l’écrivain, au service duquel il fut de 1840 à sa mort, en 1848. C’est donc à une période importante, celle de la rédaction finale des Mémoires d’outre-tombe, dont la première lecture publique de la première partie avait eu lieu chez Madame Récamier en février-mars 1834, et au sujet du contenu desquelles s’agitait le monde littéraire, que le roman d’Adrien Goetz, tissé d’autant de fils réels qu’inventés, s’attache.
L’apparente tranquillité de l’écrivain entré en son hiver va bientôt être bouleversée une ultime bouffée de printemps ; elle se prénomme Sophie, une superbe et libre mulâtre de Saint-Malo, admiratrice avec laquelle Chateaubriand entretient une relation épistolaire et qu’il finit par inviter à Paris, sous prétexte de revigorer les souvenirs de sa ville natale. Logée chez le couple Pâques, la jeune femme va réveiller l’ardeur amoureuse de l’écrivain et éveiller Adolphe à lui-même en lui faisant prendre conscience de sa nature secrète, dont le romantisme s’oppose à la lisse bonhommie de son quotidien. En s’immisçant dans l’étroite complicité qui lie l’auteur et son coiffeur, Sophie va faire basculer ce dernier, qui s’est instantanément épris du rêve qu’elle représente et ne supporte pas la bonne fortune, réelle ou supposée, de son employeur auprès d’elle, vers la jalousie, puis la haine.
Un livre attachant, dont je vous recommande chaudement la lecture.
Accompagnement musical :
Gioacchino ROSSINI (1792-1868), Il barbiere di Siviglia, mélodrame bouffe en deux actes (1816), sur un livret de Cesare Sterbini (1784-1831) :
Acte I, scène 1 : « Largo al factotum » (Figaro)
Leo Nucci, baryton.
Orchestra del Teatro comunale di Bologna.
Giuseppe Patanè, direction.
Illustration complémentaire :
Anne-Louis GIRODET de ROUSSY-TRIOSON (Montargis, 1767-Paris, 1824), Portrait de Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome, 1808. Huile sur toile, 120 x 96 cm, Saint-Malo, Musée d’Histoire et d’Ethnographie.