Chez les impromptus littéraires, le thème de la semaine est quelques notes de musique.
Mon texte s'intitule la poupée malléable... Jouez maestro !
Je pense à Brahms quand je travaille. Quand j’attends le client, je fredonne les airs des Danses Hongroises. Mes copines au début rigolaient de mes notes susurrées ou chantées à pleins poumons. Puis, elles ont compris que c’était mon échappatoire. Certaines pensent à leur gamin, d’autres à leur retraite et à la maison qu’elles achèteront à la campagne avec un petit jardin et tout le tsouin-tsouin. On a toutes des rêves pour fuir la réalité. Mais quand je suis avec un client, motus et bouche cousue. La musique se joue dans mon esprit, piano et violon sont là en sourdine ou toute puissance. Sol majeur, envolée en ré mineur, les danses s’enchaînent. Ca me fait passer le temps toute cette musique. Le client pose ses sales pattes sur moi, m’embrasse, me caresse et me prend. Il me murmure toutes sortes de noms à l’oreille ou me demande de l’appeler par un quolibet.
Je m’en fous, je suis leur poupée malléable le temps des danses hongroises. Ils me payent pour les fantasmes que leurs épouses refuseraient ou juste pour la sensation de croire qu’ils peuvent me satisfaire. Double-croche, le tempo s’accélère et mon corps s’arc-boute. Octave et mes reins saccadent la valse des corps.
Professionnelle de l’amour, je leur en donne pour leur argent en jouant toutes les gammes à la demande. Ils affichent un air heureux croyant que je gémis de plaisir. Non, c’est seulement quand retentit le crescendo final que j’exulte dans leurs bras. Ce n’est pas eux qui me donnent cette volupté et ces frissons qui me parcourent tout le corps, c’est Brahms.
Professionnelle de l’amour, ça ne s’invente pas…